Interview de Frédéric Regert, DGA Finances, IT & Transformation du Groupe Rossignol

Vers l’entreprise full RSE : l’exemple du Groupe Rossignol

groupe de personne
  • 03 oct. 2023

La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est devenue un enjeu central pour des organisations qui y voient une des conditions de la résilience de leur modèle économique. Chez Groupe Rossignol, dont le terrain de jeu, la montagne, est menacé par le réchauffement climatique, la RSE est depuis plusieurs années une question stratégique. 

 

Impulsée au plus haut niveau de direction, la stratégie RSE du groupe est intégrée dans chacune de ses fonctions, comme l’explique Frédéric Regert, Directeur Général Adjoint Finances, IT & Transformation du Groupe Rossignol. Un partage d'expérience qui entre en résonance avec le modèle de l’entreprise full RSE mis en lumière par l’Institut de l’Entreprise dans ses travaux menés avec PwC et la FNEGE.

 

Lire aussi : L’entreprise full RSE : mode d’emploi

En quoi les enjeux de développement durable sont-ils pour le Groupe Rossignol une question de stratégie, de direction générale ?

Frédéric Regert - Le développement durable est depuis longtemps ancré dans l’ADN du groupe. Sous l’impulsion du PDG, le sujet est placé au cœur de sa stratégie et de sa raison d’être, Carve movements of sustainability and human potential. Cela s’est traduit notamment par l’adhésion au Pacte mondial réseau France dès 2015 et par le lancement du programme RSE Respect il y a quatre ans. 

Si la RSE est si importante en termes de stratégie, c’est que nous devons parvenir à nous réinventer. Aujourd’hui, le changement climatique impacte fortement le terrain de jeu historique de Rossignol, la montagne. Il met en danger l’équilibre fragile de notre écosystème. Dans ce contexte, l’intégration des enjeux de durabilité et de soutenabilité constitue un élément vital de la pérennité de notre activité. Les projections climatiques nous donnent une visibilité sur les 20 ou 30 années à venir, ce qui permet le temps de l’adaptation et de la diversification.  

  • Pour la business unit historique de matériel de sports d’hiver, la priorité est de contribuer à protéger la montagne tout en accompagnant ses acteurs dans la transition écologique et économique des massifs. L’essentiel de l’empreinte carbone (80%) porte sur le scope 3, c’est-à-dire les émissions indirectes autres que celles liées à l’énergie. Nous développons donc notre capacité à bien travailler sur l’éco-design et l’éco-conception pour optimiser l’empreinte carbone. Cette démarche s’inscrit dans un contexte où la chaîne de valeur du groupe est majoritairement intégrée, avec quatre usines en Europe. La diversification vers le vélo et les services à visée écologique sont d’autres atouts en cours de développement.

  • Dans la business unit textile, où Rossignol peut compter sur la force de sa marque, 85% des produits finis sont actuellement sourcés en Asie. La priorité est de rendre cette activité moins impactante en utilisant des matériaux recyclés ou éco-responsables.

Quelles sont les implications de votre stratégie RSE en termes de moyens consentis ?

Frédéric Regert - Dans le cadre de notre projet stratégique Ascension 2026, sur les 50 millions d’euros d’investissement prévus par le groupe, 27 millions d’euros concerneront des investissements industriels. Parmi ces derniers, 15 millions d’euros sont liés au programme ombrelle de la RSE, Respect. Ces investissements concrétiseront aussi la mise en place de nouveaux modèles économiques.

Tous les départements sont impliqués et contribuent à cette ambition. Le Groupe Rossignol a ainsi créé en 2021 une direction, avec une petite équipe de project management office (PMO), qui regroupe les projets transversaux, l’innovation et la RSE sous la même ombrelle.

“Pour réaliser ses ambitions, qui impactent directement notre business model, le groupe a décidé de mettre les moyens financiers et organisationnels.”

Par ailleurs, depuis deux ans, chaque demande d’investissement soumise à la Direction financière doit comporter une cotation carbone : pour prendre des décisions, nous devons connaître le retour sur investissement d’un projet mais aussi son impact environnemental. Il s’agit de renforcer la notion de performance pour avoir une compréhension élargie du retour sur investissement (ROI), qui devient un Sustainable Return on Investment (S-ROI). 

Côté ressources humaines, les politiques de rémunérations (intéressement des salariés, bonus des managers) intègrent des critères sur l’atteinte des objectifs sociaux et environnementaux.

Écoutez le replay de ce webinar : Comment intégrer les enjeux RSE dans les directions financières ?

Quelles solutions durables innovantes le Groupe Rossignol met-il en œuvre ?

Frédéric Regert - Lancé en 2019 sous l’impulsion de la Direction générale, le programme Respect vise la neutralité carbone à horizon 2050, avec des points d’étape importants sur un horizon plus court : 40% de réduction des déchets d’ici 2025 et 30% de réduction de l’empreinte carbone d’ici 2030.

Pour ce programme, nos solutions s’organisent autour des quatre piliers : agir pour préserver notre terrain de jeux, la montagne ; fabriquer de manière responsable ; concevoir des produits plus respectueux ; s’engager socialement pour le respect de notre communauté. 

Les initiatives phares comprennent :

  • Les skis recyclables : nous avons lancé en 2023 le premier ski à haut potentiel de recyclabilité et avons publié en open source l’intégralité des plans de notre ski Essential, composé de 73% de matières recyclées et lui-même recyclable à 77% (contre 6% pour un ski conventionnel).

“Au-delà du lancement d’un nouveau produit fait en France, l’enjeu est de parvenir à organiser la profession pour impulser le développement des filières de recyclage à l’échelle du marché global.”

Plus globalement, d’ici 2028, Rossignol affiche l’ambition qu’un tiers de ses gammes de skis soient développées dans une démarche d’économie circulaire (utilisation croissante de matériaux recyclés, taux de recyclabilité accru, produits avec un impact moindre tout au long de leur cycle de vie).

Cela implique des efforts de R&D (nous avons collaboré avec un acteur de référence du recyclage pour mettre au point un nouveau procédé de broyage, de tri et de revalorisation des matériaux), mais aussi de relever le défi d’activer l’économie circulaire dans notre industrie. C’est notre rôle de leader et market maker.

Pour la marque Dynastar, nous avons développé un nouveau procédé industriel. La technologie d’éco-conception Hybrid Core 2.0 permet de réduire l’impact environnemental de la fabrication du ski et de réduire tous les indicateurs environnementaux mesurés dans le cadre d’une analyse de cycle de vie. 45% des volumes annuels Dynastar seront ainsi éco-conçus d’ici l’hiver 2025-2026

  • La deuxième vie du ski (recyclage, upcycling), qui nécessite d’imaginer et développer un nouveau modèle économique. Notre usine de Sallanches, dernière usine de skis en France, deviendra notre centre de revalorisation et continuera à porter haut et fort les couleurs du Made in France.

  • La valorisation des produits de second choix, qui présentent des défauts d'aspect mais ont un niveau de performance égal au neuf. Ils constituent une offre attractive pour certains consommateurs.

  • Le travail sur les matières dans le textile, de l’interdiction des fourrures animales et du PFC à l’intégration par notre équipe de design à Milan de matières recyclées ou moins impactantes. Cette démarche suppose à la fois de la R&D, mais aussi un encadrement strict des fournisseurs au travers de la correcte exécution de cahiers des charges exigeants.
    Par ailleurs, le partenariat avec la start-up Fairly Made permet de mieux comprendre l’empreinte carbone en assurant la traçabilité des produits.
  • Le développement de nouveaux business model tournés vers le service pour promouvoir la santé par le sport et accompagner les territoires, les stations dans leur transition. L’application mobile « On Piste » a été conçue pour guider les sportifs amoureux de la nature dans leurs pratiques outdoor en station ou en plaine toute l’année avec des parcours balisés. Chacun peut ainsi repérer les meilleurs spots et préparer sa prochaine sortie de randonnée, vélo, marche nordique ou ski de randonnée.

Quel retour faites-vous sur les échanges avec vos parties prenantes (clients, fournisseurs, collaborateurs…) sur les sujets de durabilité ?

Frédéric Regert - Du côté de nos clients B2B, nous commençons concrètement à percevoir de nouvelles attentes au fur et à mesure que la conscience climatique devient plus prégnante dans la distribution. À terme, la responsabilité environnementale sera un élément décisif car les consommateurs risquent de boycotter les marques non responsables. Or, nous sommes le scope 3 de nos distributeurs, qui s’intéressent donc de plus en plus près à nos initiatives RSE.

Avec nos fournisseurs, nous sommes déjà entrés dans le concret. Nous faisons avec eux un travail de qualification des matières afin de consommer moins d’eau, de réduire l’utilisation des colorants et de remplacer des dérivés du pétrole par des matériaux plus éco-responsables. Nous avons aussi un besoin de transparence sur les chaînes d’approvisionnement amont.

“Les investisseurs intègrent désormais des critères ESG dans leurs décisions d’investissement.”

Enfin, nous constatons une modification profonde des modes de consommation, une recherche d’exemplarité et une quête de sens de la part de nos collaborateurs. Nos salariés, au nombre de 1 250, sont très sensibles à ces sujets et beaucoup de nos jeunes employés apprécient les investissements du Groupe dans le programme Respect. Nous affirmons notre identité en agissant fermement pour concrétiser nos ambitions environnementales, avec des actions de fond, ce qui est clairement un levier d’attractivité et de fidélisation. La qualité de vie au travail (QVT) constitue également une dimension importante pour le groupe.

Cet ancrage éco-responsable trouve un écho très positif auprès de notre communauté au profil particulier, proche de la nature. Au regard de cet écosystème, nous considérons que notre responsabilité économique va au-delà de la performance financière, ce pour quoi nous nous intéressons à la comptabilité multi-capitaux.

Quelle est la place du collectif dans une démarche RSE telle que la vôtre ?

Frédéric Regert - Le Groupe Rossignol est un participant très actif de la Convention des entreprises pour le climat (CEC) car nous pensons que les entreprises ont un rôle central à jouer dans la transition sociale et environnementale par leur capacité à innover et trouver des solutions face aux défis du dérèglement climatique. 

Au sein de la CEC régionale, nous échangeons avec de nombreux acteurs, y compris certains concurrents. Quelques entreprises ont un peu d’avance, par exemple sur la manière de conduire certains projets ou sur les outils de reporting. Les réflexions des groupes de travail de la CEC sont venues alimenter notre plan 2030 en idées et en pistes d’actions pour concevoir un modèle régénérateur pour le groupe Rossignol.

“Le collectif est essentiel, aux niveaux local, national et international : on gagne ensemble, on perd ensemble.”

Par ailleurs, Rossignol a rejoint l'initiative @1t.org en tant qu'entreprise contributrice, et s’engage à planter 100 000 arbres d'ici 2030. Lancé par le Forum économique mondial de Davos en 2021, 1t.org est un mouvement ambitieux qui vise à planter 1 000 milliards d'arbres d'ici 2030. 

Nous nous mobilisons également très localement dans nos différents territoires. Par exemple, Rossignol a co-développé le nouveau module de formation Sustainability transition in international business lancé par Grenoble Ecole de Management pour sensibiliser les étudiants aux enjeux environnementaux, avec un cas d’entreprise concret basé sur l’activité du groupe.

Le quatrième pilier de Respect nous conduit à subventionner et contribuer à l’animation de communautés mobilisées pour protéger l’environnement dans le milieu de la montagne, comme Protect Our Winters. Nous promouvons l’inclusion et la diversité pour ouvrir la pratique du ski au plus grand nombre. Nous participons à l’insertion sociale et professionnelle par le sport en apportant notre soutien à des associations comme Sports dans la Ville en France, Share Winter et Women of Winter aux USA. Enfin, nous collaborons activement à la collecte de vêtements chauds organisée depuis plusieurs années en faveur de Riders for Refugees et nous faisons don de vêtements chauds à l’Ukraine via l’association FUVI.

Quels sont les axes de travail forts de la démarche RSE du Groupe Rossignol à moyen et long terme ?

Frédéric Regert - Nous avons des positions fortes mais qu’il va falloir défendre dans un marché mature. Parmi les nombreux axes de travail de moyen et long termes identifiés, deux sont déterminants : la stratégie produits et la maîtrise de la donnée extra-financière.

Stratégie produit : des ROI durables et sans aucun compromis sur la performance

Les plans stratégiques produits se décident 24 mois à l‘avance. Nous lançons actuellement nos réflexions sur les gammes de matériels pour la saison 2025-26, dans lesquelles nous intégrons nos objectifs de recyclabilité et d’utilisation de nouvelles matières. Par exemple :

  • Intégrer l’éco-conception dans la définition de la gamme nous permet de répondre aux attentes en matière de durabilité tout en veillant à la désirabilité et à la rentabilité du produit. L’analyse des cycles de vie est un atout majeur dans cette démarche. Cela implique une évolution du processus d’innovation et de développement avec un dialogue transversal plus poussé et plus précoce entre les équipes de R&D, les experts RSE et le marketing produit. 

  • Relocaliser pour réduire les transports contribue à réduire notre bilan carbone. Nous cherchons ainsi à diversifier et rapprocher nos sources d’approvisionnement textile pour être moins dépendants de la production carbonée asiatique. 

  • Planter une forêt de peupliers près de l’usine d’Artes, dans les Pyrénées espagnoles, où sont fabriquées 650 000 paires de ski par an, nous aide à intégrer la production en circuit court. Le noyau du ski est majoritairement en bois de peuplier. En plantant 3 000 de ces arbres par an, nous couvrirons 30% à 40% de nos besoins d’ici 15 ans tout en générant des puits à carbone. Avec un aussi long ROI, c’est un acte très volontaire et un premier pas vers un modèle régénérateur capable d’absorber du carbone tout en recréant des zones naturelles

En plus de s’étendre sur de longues périodes, notre stratégie produit est particulièrement complexe du fait de la technicité des skis. C’est un tour de force, qui demande beaucoup de R&D, que d’obtenir des gammes de skis recyclables mais aussi skiables à des niveaux de compétition. Avec un ADN ancré dans le racing, le Groupe Rossignol n’est prêt à aucun compromis sur la performance, pas plus que sur la viabilité économique des produits.

Donnée extra-financière : voir une opportunité dans le reporting de durabilité

Côté reporting, nous nous préparons pour la CSRD, que nous voyons plus comme une opportunité de pérenniser notre business que comme une contrainte. Nous menons une action conjointe à la RSE et à la Direction financière pour nous mettre en conformité. Les différents indicateurs extra-financiers seront un vrai catalyseur pour accélérer notre transition. 

Nous réfléchissons aussi à définir un prix interne du carbone pour mieux intégrer et chiffrer les externalités. Nul doute que cela contribuera aussi à renforcer notre performance économique en identifiant les nouveaux leviers de création de valeur. 

“Fonte des glaciers, disparition des stations de basse altitude : chaque année, nous voyons notre terrain de jeu être impacté sous nos yeux. En montagne plus qu’ailleurs, on se rend compte des effets du changement climatique. On doit plus que jamais se réinventer, se diversifier, miser sur la résilience et la capacité d’innovation de nos équipes pour transformer l’activité. L’ambition économique doit rester élevée mais ne peut être dissociée d’engagements sociétaux et environnementaux puissants. Pour y arriver, Rossignol peut compter sur une identité forte et authentique, avec un ancrage historique dans la montagne en hiver comme en été. La montagne, une source formidable d’épanouissement, de ressourcement, de bien-être physique et mental.”

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Cédric Minarro

Cédric Minarro

Associé Audit, PwC France et Maghreb

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