Du bon usage du prix interne du carbone par les entreprises

Face à l’urgence climatique, la décarbonation des activités économiques a débuté. Tout d’abord sous la pression réglementaire : environ 20 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES) sont aujourd’hui couvertes par un prix externe du carbone (taxe carbone et quotas d’émission). Mais de plus en plus, la décarbonation s’accélère aussi sous l’impulsion de la volonté propre des entreprises.

Entièrement basée sur le volontariat, la tarification interne du carbone fait partie des mécanismes les plus rapides à déployer dont ces acteurs disposent. Aujourd’hui, près de la moitié des 500 plus grandes entreprises en termes de capitalisation boursière ont recours à cet outil. Tous les secteurs sont concernés, des énergies fossiles aux services financiers.

C’est cette tendance qu’analyse l’étude Prix interne du carbone : une solution qui tombe à PIC pour les entreprises ? publiée en novembre 2021 par l’Institut Montaigne. Réalisée par un groupe de travail présidé par Getlink et comprenant PwC France et Maghreb, l’enquête menée auprès d’une vingtaine d’entreprises illustre la diffusion de cette pratique en France. L’étude formule également des recommandations pour aider les entreprises à appliquer un prix interne du carbone le plus efficace possible.

« La COP26 l’a montré, les mesures prises à ce jour ne sont pas à la hauteur des enjeux climatiques. Pour atteindre les objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris, tous les secteurs devront se transformer pour atteindre la neutralité carbone. Un nombre croissant d’entreprises s’engagent déjà sur cette voie »

Olivier Müller, directeur, département Développement durable de PwC France et Maghreb

À quoi sert le prix interne du carbone ?

Pourquoi cet intérêt croissant ? Pour une entreprise, mettre en place un prix interne du carbone peut répondre à deux objectifs : réduire son exposition au risque carbone en anticipant mieux l’évolution des taxes ou du prix du marché, et contribuer à atteindre ses objectifs de décarbonation.

Le plus souvent, la tarification interne du carbone est d’abord employée comme outil de management du risque climatique. En anticipant une trajectoire de croissance soutenue du prix du carbone sur le marché externe, l’entreprise évite d’investir dans des projets carbonés qui pourraient s’avérer coûteux à terme, et cherche ainsi à assurer la rentabilité et la pérennité de ses activités.

« Face à la nouvelle donne réglementaire et climatique, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à se doter de mécanismes de tarification interne du carbone […]. En 2021, plus de 2 000 entreprises dans le monde utilisaient ou comptaient mettre en place, sur un horizon de deux ans, un prix interne du carbone, soit 80 % de plus qu’en 2015. »

Institut Montaigne

Décarbonation : le prix de la tonne de CO2 a triplé depuis 2018

Dans la 20e édition de son étude annuelle Facteur carbone (octobre 2021), PwC chiffre la réduction des émissions de CO2 de la part des 23 premiers producteurs d'électricité européens. Le panel interrogé explique notamment la décarbonation de la production d’énergie par le triplement du prix de la tonne de CO2 sur le marché Emissions Trading System (ETS) de quotas d’émissions depuis 2018. Cette envolée a incité les entreprises à diminuer la part des centrales à charbon dans leur production d’électricité.


Utiliser le prix interne du carbone comme outil pour atteindre les objectifs de décarbonation fait souvent partie de la stratégie de responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE). Cette approche implique de prendre en compte et de réduire les externalités négatives des activités de l’entreprise sur l’environnement. Elle contribue ainsi à accélérer les investissements bas-carbone, améliorer l'efficacité énergétique de l’entreprise, changer les comportements en interne, mieux évaluer les risques, identifier les opportunités de développement d’activités bas-carbone et accéder aux financements bas-carbone.


Un taux de décarbonation annuel de 12,9% pour limiter la hausse des températures à 1,5°C

L’étude Net Zero Economy Index 2021 (octobre 2021) de PwC démontre qu’il est urgent de rehausser significativement les ambitions. Un taux de décarbonation de 12,9% est désormais indipensable pour limiter la hausse des températures à 1,5°C. Pour parvenir à suivre cette trajectoire, les entreprises jouent un rôle central. La COP26 a mis en lumière leur engagement croissant dans la neutralité carbone, et le prix interne du carbone est l’un des outils qu’elles sont de plus en plus nombreuses à adopter.


Le prix interne du carbone, un outil flexible et multidimensionnel

Particulièrement flexible, le prix interne du carbone peut prendre plusieurs formes selon les objectifs visés par l’entreprise, précise l’étude de l’Institut Montaigne. Le prix directeur, ou shadow price, attribue en interne une valeur économique permettant d’aiguiller les décisions d’investissement ; cette valeur indicative n’induit pas de flux financiers. La taxe carbone interne, qui cherche à lier coûts opérationnels et émissions de GES, implique le plus souvent des flux financiers notionnels. Calculé a posteriori, le prix implicite ou coût réel de la décarbonation permet aux entreprises d’évaluer l'efficacité et la cohérence de leurs investissements.

Une grande hétérogénéité du prix du carbone existe par ailleurs entre les pays (il est dix fois plus élevé en Europe qu’en Chine, par exemple) et entre les entreprises (de quelques dollars à plus de 900 dollars la tonne de CO2). Avec une approche individuelle telle que le prix interne du carbone, il n’est pas surprenant qu’il existe autant de prix internes du carbone que d’entreprises. Cependant cette disparité, qui limite l’efficacité climatique recherchée, peut aussi porter préjudice à l’entreprise. « Un prix interne sous-estimé par rapport au prix réel du carbone peut nuire à la rentabilité financière d’investissements qui n’auraient pas correctement évalué les coûts futurs liés au carbone, tandis qu’un prix interne surestimé peut nuire à la rentabilité de l’entreprise à court terme », explique l’étude.

Le périmètre des émissions de GES couvertes est également variable. Dans 90 % des cas, le prix interne du carbone ne couvre que les émissions directes de l’entreprise (scope 1) selon le CDP (anciennement Carbon Disclosure Project). Pourtant, réduire les émissions mondiales de GES nécessite aussi de prendre en compte les émissions indirectes (scopes 2 et 3). Cette réticence vient peut-être du risque qui peut découler de l’intégration du scope 3 dans le dispositif de tarification interne du carbone sur la chaîne de valeur et le segment de marché de l’entreprise. “Les effets de substitution (ou fuites de carbone) peuvent déplacer les émissions dans la chaîne de valeur au lieu de les réduire, voire les augmenter ». Une évaluation globale de l'impact s’impose donc.

Recommandations pour un prix interne du carbone efficace

L’étude montre enfin que la tarification interne du carbone mise en place par les entreprises sera d’autant plus efficiente qu’elle suivra ces principes :

  • Fixer sa trajectoire en fonction du prix de marché (et non de la valeur tutélaire du carbone).
    Établir des scénarios croissants du prix interne à différents horizons de temps et les réviser régulièrement afin de mieux anticiper l’évolution des prix de marché et des coûts d’abattement.

  • Intégrer les émissions de scope 3 dans le dispositif de tarification interne du carbone une fois l’entreprise capable d’aligner les décisions de ses clients et de ses fournisseurs avec l’objectif global de réduction de l’empreinte carbone planétaire, et non de l’empreinte des seules activités de l’entreprise.
    Il serait contreproductif que l’entreprise améliore son propre bilan carbone si cette dynamique entraîne un effet inverse auprès de ses parties prenantes.

  • Faire du prix interne du carbone un élément structurant de la prise de décision en associant toutes les directions, notamment la direction financière, et les métiers. Pour devenir un outil de transformation et de décarbonation de l’entreprise, il ne doit rester l’apanage de la direction RSE, même lorsque le pilotage de la décarbonation de l’entreprise lui incombe.

  • Expliquer, notamment aux acteurs financiers, quels outils sont mobilisés pour piloter la décarbonation des activités et la place relative qu’y occupe le prix du carbone.

  • S’engager collectivement dans une dynamique de coopétition, avec partage des bonnes pratiques (priorités à fixer, arbitrages à opérer, référentiels à partir desquels déterminer un montant et une trajectoire pour le prix interne du carbone, etc.).

Le prix interne du carbone permet incontestablement à l’entreprise de mieux prendre en compte les enjeux climatiques dans ses décisions. Il ne saurait cependant suffire à assurer la transition d’une organisation vers un modèle neutre en carbone. Une réflexion stratégique plus vaste s’impose.

Sylvain Lambert, associé, Olivier Müller, directeur, et Carla Bonnet, consultante du département Développement durable de PwC France Maghreb faisaient partie du comité de pilotage et de l’équipe projet de l’étude Prix interne du carbone : une solution qui tombe à PIC pour les entreprises ? publiée en novembre 2021 par l’Institut Montaigne et dont les conclusions sont reprises dans cet article.

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Sylvain Lambert

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