ESG : comment faire progresser la diversité en entreprise ?

la diversité en entreprise
  • Publication
  • 05 juin 2024

Si les critères d’évaluation ESG sont de plus en plus utilisés par les entreprises et leurs parties prenantes, la même attention n’est pas accordée à chacune des lettres de cet acronyme. Le plus souvent, les impacts environnementaux sont davantage pris en compte que les considérations sociales. Difficilement mesurable, le volet gouvernance est encore embryonnaire.

 

Si l'appropriation des indicateurs environnementaux a pris un temps d’avance, c’est notamment grâce à la taxonomie verte européenne. À son image, un projet de taxonomie sociale est à l’étude, mais loin d’être abouti, les pays européens tardant à s’accorder sur les critères à mesurer. Cependant, nul besoin d’attendre une taxonomie sociale pour commencer à intégrer les sujets sociaux. D’autant plus que ces derniers font déjà partie intégrante de la transition environnementale : pour réussir, la transition verte devra être une transition juste. 

 

Pauline Adam-Kalfon, Associée responsable inclusion et diversité au sein du comité de direction de PwC France et Maghreb, et Adélaïde de Tourtier, Directrice RSE de PwC France et Maghreb, font le point sur la situation et les outils déjà en place, notamment en France, pour prendre en compte les questions sociales telles que l’inclusion et la diversité.

 

L’interview ci-dessous reprend l’analyse de Pauline Adam-Kalfon lors de la table ronde sur la transparence au service de la diversité socioculturelle au Sommet de l’inclusion économique de novembre 2023, dont le replay est disponible ici.

Sur le thème "La juste place pour tous" et avec pour ambition de “redonner l’espérance, bâtir la confiance, réussir le changement”, le Sommet de l’inclusion économique 2023 organisé par la Fondation Mozaïk a réuni près de 10 000 décideurs, managers, experts, journalistes et personnalités, permettant à un millier de talents de participer aux échanges avec des PDG, membres de comités exécutifs et recruteurs des 50 entreprises et institutions mobilisées, dont PwC.

Les entreprises peuvent-elles assumer de front responsabilité sociale et engagements environnementaux, sans les opposer ?

Pauline Adam-Kalfon - Les enjeux E, S ou G se retrouvent parfois en concurrence. Par exemple, des efforts pour améliorer l’impact environnemental peuvent risquer de dégrader un indicateur social. Ce genre de dilemme peut apparaître dans les investissements fossiles, quand le passage aux énergies renouvelables se fait au détriment des emplois. Les enjeux sociaux peuvent aussi entrer en opposition entre eux. Par exemple, l’atteinte d’objectifs d'équité femmes/hommes au détriment de la diversité sociale, ou l’inverse. 

Une approche holistique est donc indispensable pour éviter de se retrouver piégé dans ce genre d'alternatives. Récemment, nous avons ainsi accompagné l’Office français de la biodiversité dans la recherche de co-bénéfices, identifiant les manières de développer les énergies renouvelables sans nuire à la biodiversité.

Quand nous accompagnons nos clients sur leurs stratégies d’investissements, nous observons qu’il ne s’agit pas d’opposer les enjeux, mais de développer une vue d’ensemble des impacts positifs et négatifs de leurs actions sur les trois dimensions de l‘ESG. Au fond, le E n’a de sens que s’il respecte le S, puisque dans tous les cas le critère humain reste central.

Lire aussi : Baromètre 2023 des ODD : plaidoyer pour une approche systémique

Quelles sont les approches permettant de concilier objectifs sociaux et environnementaux ?

Pauline Adam-Kalfon - Pour éviter une mise en opposition et faire des critères ESG un outil de transformation, le préalable est une bonne gestion des indicateurs ESG. Les entreprises peuvent s’appuyer sur trois principes : prioriser, mesurer et trouver d’autres indicateurs.

  1. Prioriser. On ne peut pas tout mener de front. Mieux vaut mettre l’accent sur certains objectifs et remporter de premières batailles qui donneront de l’élan et de la motivation pour aborder les enjeux suivants.. “Nous avons essayé de faire la différence sur toutes les causes dans lesquelles nous pouvions nous impliquer”, explique ainsi Jacinthe Brillet, Directrice générale, Les Prés Rient Bio (Danone). 
  2. Mesurer. Il est essentiel de se doter d’un référentiel précis pour mesurer les impacts des actions, et de vérifier que ces impacts ne sont pas négatifs. Mesurer implique d’avoir un langage commun, comme les normes de mise en œuvre de la CSRD ou des outils déployés à l’échelle nationale. En France, nous disposons d’outils réglementaires tels que l’Index de l'égalité professionnelle (dit Index Pénicaud) depuis 2018 et l’obligation de publier le taux d’emploi des travailleurs handicapés. 
  3. Rechercher des indicateurs au-delà des critères classiques. On peut mesurer beaucoup plus d’indicateurs qu’on ne le pense. Par exemple, au  Royaume-Uni, un référentiel mis en place en 2016 par le gouvernement pour évaluer la mobilité sociale, le Social Mobility Index, calcule l’écart entre ce que gagne un salarié et ce que gagnaient ses parents. En France, à l'occasion du Sommet de l’inclusion économique, les entreprises participantes ont mesuré la part de leurs embauches domiciliées dans des quartiers prioritaires de la ville (QPV) pour évaluer ce critère de diversité dans leurs recrutements. Cette proportion s’élevait en moyenne à 16% en 2023 (étude réalisée par le cabinet Exécution Consulting).

Il faut ensuite aller au-delà en incluant les objectifs de diversité dans les rémunérations des dirigeants. Je vous renvoie à l’étude “Critères RSE et rémunération” publiée par l’Orse avec PwC France et Maghreb et le Pacte mondial Réseau France, qui met en lumière le tournant stratégique pris à ce sujet par les entreprises.

Depuis 2022, 20% des conditions de performance du plan d’intéressement à long terme d’ENGIE, dont sont bénéficiaires plus de 5 000 collaborateurs, reposent sur des critères climat et diversité. La pertinence et le poids des critères RSE au sein de la rémunération variable suscitent des échanges riches avec les investisseurs et les proxys, tant la RSE est inhérente à la stratégie du Groupe. Source : Étude Critères RSE et rémunération – 3e édition, Orse-PwC-Pacte mondial - Réseau France, 2024

Les investisseurs n’ont-ils pas également un rôle à jouer pour impulser une dynamique d’inclusion et diversité ?

Pauline Adam-Kalfon - En effet, le nerf de la guerre étant, sur ces sujets aussi, en partie financier, les investisseurs ont un rôle important à jouer dans la prise en compte des enjeux de diversité. Dans l’écosystème des startups, l’État des lieux de la mesure de la diversité dans les startups publié par Diversidays en partenariat avec PwC France et Maghreb et le cabinet Occurrence montre des inégalités d’accès et des discriminations très élevées à l'embauche et en poste. 39% des salariés déclarent avoir été victimes d’une discrimination en tentant d’intégrer une startup (15% si l’on ne considère que les réponses des cadres).

Actrices clés du secteur tech, les startups ne jouent pas véritablement le jeu de l’inclusion. En effet, elles recrutent majoritairement des profils masculins, jeunes, issus d’écoles prestigieuses, qui viennent de métropoles, parlent plusieurs langues, sans situation de handicap déclarée. Les startups favorisent ainsi une forme de reproduction sociale sans, bien souvent, faire leur part en matière de diversité et d’inclusion au regard de critères comme l’âge, le genre, l’origine socioculturelle, géographique, sociale, le handicap, l'orientation sexuelle... cela, alors même qu’elles peinent souvent à recruter.

Anthony Babkine et Mounira Hamdi, cofondateurs de Diversidays et du mouvement TechYourPlace

Conscients de cette situation, de plus en plus de fonds d'investissement (venture capital, ou VC) prennent la parole sur des sujets d’inclusion et diversité au travail, démontrant l’importance que ces critères occupent désormais dans leur processus décisionnel. Ils peuvent passer à l’action de multiples manières :

  1. En faisant le choix d’investir dans des startups dont les fondateurs incarnent la diversité, et leur pouvoir d’influence leur permet de mettre cette question à l’ordre du jour. Lors des due diligences, un certain nombre d’investisseurs attendent un audit inclusion et diversité, ce qui incite les startups à intégrer ces indicateurs dans leur reporting.
  2. En participant à la sensibilisation, la formation et l’accompagnement des startups sur ces sujets.
  3. En incluant des clauses de diversité dans les pactes d’actionnaires. Cette approche a fait son apparition dans nos missions auprès des fonds d'investissement.

Le travail de PwC sur les clauses de diversité s’est fait en collaboration avec Tech Yourplace. Cofondé par Diversidays et la Fondation Mozaïk, ce mouvement vise à accélérer la diversité et l’inclusion dans l’écosystème de la tech. Plus de 50 entreprises de la tech et sociétés de capital-investissement sont adhérentes. Fin 2023, 15 fonds d’investissement s’étaient engagés sur une nouvelle clause diversité et inclusion dans leur pacte d’actionnaire.

“Intégrer des éléments de clause sur la diversité dans les pactes d'actionnaires est une action très concrète, à laquelle plusieurs fonds s'engagent. Cela ne s'arrête pas à la clause, puisque celle-ci s’accompagne d’un guide pour aider les startups financées à tenir leurs engagements.”

Émilie Bobin, Associée Développement durable, PwC France et Maghreb

La publication de notre baromètre de la diversité dans les startups et la mise en place de clauses diversité dans les pactes d’actionnaires vont dans le même sens que l’évolution des critères d’entrée au French Tech Next40/120. En effet, après l’ajout de critères d’impact pour la promotion 2023, Jean-Noël Barrot, ministre délégué au Numérique, avait annoncé la prise en compte d’indicateurs de parité et de diversité pour la promotion 2024 afin de “montrer le chemin vers une performance collective, complète et vertueuse”. Les startups lauréates s’engagent à mesurer leur index femmes/hommes et à réfléchir collectivement avec les équipes de la Mission French Tech sur les enjeux de diversité et d’inclusion, notamment au travers du Pacte Parité.

Écouter aussi le replay de cette table ronde à VivaTech 2023 : How to accelerate diversity and inclusion in tech ?

Côté réglementation, où en est le “S” d’ESG dans les dispositifs législatifs européens et français ?

Adélaïde de Tourtier - La taxonomie verte européenne comporte déjà des garde-fous sociaux. Le premier est le principe Do No Significant Harm (DNSH), qui demande aux entreprises de s’assurer que leurs activités non couvertes par la taxonomie verte n’ont pas d'impact négatif par ailleurs. Le second garde-fou social est constitué par les “garanties minimales” que la taxonomie verte européenne impose dans quatre domaines : droits humains, lutte contre la corruption, fiscalité et éthique des affaires. La législation européenne se renforce, avec par exemple le vote par le Parlement européen en avril 2024 de l’interdiction des produits issus du travail forcé.

Par ailleurs, la CSRD impose un reporting sur des thématiques sociales (quatre sur les 12 normes ESRS adoptées). Les indicateurs sociaux mesurés à partir de 2024 portent sur les salariés de l’entreprise (ESRS S1), les travailleurs de la chaîne de valeur (ESRS S2), les communautés touchées (ESRS S3) et les consommateurs et utilisateurs finaux (ESRS S4).

  1. Les conditions de travail : santé et sécurité, temps de travail, protection sociale, précarité, lutte contre le harcèlement, négociations collectives, dialogue social, liberté d’association
  2. L’égalité de traitement et des chances : diversité, parité, formation, personnes handicapées, écarts de rémunération
  3. Les droits humains fondamentaux : travail des enfants, travail forcé, trafic d’êtres humains

 

En France, il existe déjà un certain nombre de lois à vocation sociale. La taxe AGEFIPH sanctionne financièrement les entreprises qui ne respectent pas l’obligation d’employer des travailleurs handicapés. La loi sur le devoir de vigilance cherche quant à elle à prévenir les éventuelles violations des droits de l'Homme dans les chaînes d'approvisionnement. En avril 2024, le Parlement européen a adopté sa transposition régionale, la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CS3D). 

En matière d’équité femmes-hommes, plusieurs dispositifs existent. Votée en 2011, la loi Copé-Zimmerman a permis à la France d’atteindre le premier rang mondial en termes de représentation des femmes dans les conseils d’administration des grandes entreprises cotées. L’index Égalité Professionnelle mis en place en 2018 vise à mesurer la parité au sein des entreprises. Enfin, la loi Rixain adoptée en 2021 obligera les entreprises à publier leur ratio de représentation des femmes parmi les cadres supérieurs et les membres de leurs instances de direction, avec un minimum à atteindre de 30% de femmes en 2026 et de 40% en 2029.

Lire aussi : Integrate respect for human rights in your supply chains

Outre la réglementation, quelles sont les motivations des entreprises pour améliorer leurs pratiques de diversité et d’inclusion ?

Pauline Adam-Kalfon - Promouvoir la diversité est dans l’intérêt bien compris des entreprises. Des travaux d’économistes montrent que les entreprises dont les équipes sont fortement diversifiées ont plus de chances de voir leurs parts de marché croître et de conquérir un nouveau marché. En effet, bénéficier de profils divers et complémentaires favorise l’innovation et l’agilité, donc la performance, du fait de la variété des points de vue, parcours et expériences. La richesse intellectuelle des équipes est le parfait antidote à une pensée homogène source d'immobilisme. 

Dans l’État des lieux de la mesure de la diversité en entreprise publié en 2022 par Diversidays en partenariat avec Occurrence et PwC, 100% des entreprises interrogées s’accordent sur la corrélation entre diversité et performance économique. Cette enquête indique que les salariés aussi font de l’inclusion et de la diversité un enjeu critique. La grande majorité (86%) des actifs souhaitent que leur entreprise s’engage davantage dans cette voie. La moitié des salariés redoutent d’être sujets à la discrimination au sein de leur entreprise. Presque autant déclarent en avoir été victime et les trois quarts en avoir été témoin au moins une fois.

Pour autant, les enjeux d’inclusion et diversité au travail suscitent souvent des questionnements, voire des inquiétudes, au sein d’entreprises parfois dépassées par l’ampleur du sujet. Le besoin d’accompagnement est réel.

Prenons l’exemple des startups, qui ont vocation à innover. Ces dernières ont plus de chances d’être disruptives et impactantes si les profils en interne ne pensent pas tous de la même manière. C’est une richesse inestimable que les investisseurs devraient exiger systématiquement dans les projets qu’ils soutiennent.

Saïd Hammouche, entrepreneur, fondateur de la Fondation Mozaïk et membre du Conseil économique social et environnemental (Forbes, décembre 2023)

À quel rythme les entreprises françaises s’ouvrent-elles aux questions de diversité ?

Adélaïde de Tourtier - Les entreprises sont déjà nombreuses à inclure des objectifs de diversité dans leurs engagements RSE, voire pour les plus matures à intégrer ces objectifs à leur stratégie d’entreprise. Par exemple, l’une des ambitions sociétales du Groupe Rossignol est de “promouvoir l’inclusion et la diversité pour ouvrir la pratique du ski au plus grand nombre”, comme l’explique Frédéric Regert, DGA Finances, IT & Transformation.

Si l’on regarde les critères RSE pris en compte dans la part variable de la rémunération des dirigeants, l’on voit que la diversité et l’inclusion font partie des objectifs les plus fréquents, avec la réduction des émissions de CO2, selon la dernière étude Orse-PwC-Pacte mondial - Réseau France à ce sujet. Parmi les entreprises du CAC 40 ayant communiqué cette information, 75% prennent en compte les enjeux d’égalité femme/homme dans la part variable de la rémunération des dirigeants.

Cette dynamique est à rapprocher du nombre croissant d’entreprises qui utilisent les objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies comme un élément clé dans la lecture de leur performance. Trois des 17 ODD ont une dimension explicite d’inclusion et diversité : assurer l’accès de tous à une éducation de qualité (ODD 4), réaliser l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles (ODD 5) et réduire les inégalités entre les pays et en leur sein (ODD 10).

L’on voit que, dès lors qu’une volonté existe de faire avancer l’agenda social, et notamment les questions de diversité et d’inclusion, de nombreux outils existent que les entreprises peuvent activer et adapter à leur propre contexte.

Suivez-nous

Contactez-nous

Pauline Adam-Kalfon

Pauline Adam-Kalfon

Associée responsable Inclusion et Diversité, PwC France et Maghreb

Emilie Bobin

Emilie Bobin

Associée Développement durable, PwC France et Maghreb

Adélaïde  de Tourtier

Adélaïde de Tourtier

Directrice RSE et Directrice déléguée de la Fondation, PwC France et Maghreb

Masquer