En quittant la sphère du discours pour entrer de plain-pied dans la stratégie, la question du développement durable suscite des transformations que le dirigeant doit désormais piloter. Dans “Il n’y a pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd”, Émilie Bobin, Sylvain Lambert et Frédéric Petitbon, associés PwC France et Maghreb, partagent leurs convictions sur les bouleversements à venir, qui sont autant des impératifs catégoriques que d’extraordinaires leviers pour transformer les organisations.
Ce livre-manifeste se double d’une boîte à outil puisque les auteurs puisent dans leur expérience pour partager six clés permettant d’accélérer la construction de cette entreprise du futur en adéquation avec les limites planétaires, les attentes de la société, l’évolution des réglementations et les demandes des investisseurs. L’enjeu : faire de la RSE un levier de transformation, de performance et de pérennité pour l’entreprise.
Émilie Bobin - Vu la nature des enjeux RSE (repenser la place et le rôle de l’entreprise dans la société, déconstruire puis reconstruire l’ensemble des dimensions de l’entreprise), il est en effet pertinent que la transformation de l’entreprise soit initiée et portée par les dirigeants et les conseils d’administration.
Ce qui est attendu des dirigeants, notamment de la part des financeurs, est une capacité d’anticipation et une prise en compte des sujets de durabilité avec le même niveau d’attention, d’énergie et de compréhension qu’ils accordent à tout autre sujet stratégique. Le dirigeant exécutif de demain aura aussi compris que, au-delà de l’acceptabilité de sa stratégie par les actionnaires, la licence to operate sociétale de son activité sera déterminante pour la survie et la performance de son groupe.
Par ailleurs, dans la transformation de l’entreprise vers une organisation full RSE, la conviction du dirigeant et son fort engagement personnel sont essentiels, tant dans la démarche que dans la communication de celle-ci. Mettre en cohérence le dire (la vision stratégique) et le faire (les actions au quotidien), par exemple en renforçant les critères RSE dans la rémunération variable, est absolument nécessaire. L’exemplarité et l’engagement vers l’entreprise full RSE ne peuvent venir que d’en haut.
“Ce qui est attendu des dirigeants est une prise en compte des sujets de durabilité avec le même niveau d’attention, d’énergie et de compréhension qu’ils accordent à tout autre sujet stratégique.”
Sylvain Lambert - La RSE étant de plus en plus au cœur de la stratégie, le conseil d'administration est fondé à challenger le management sur le sujet, dont il peut s’auto-saisir. La RSE ne sera plus considérée comme un sujet à part, mais intégré aux sujets stratégiques dont le conseil s’occupe déjà, comme la stratégie fiscale ou la sécurisation de la supply chain.
Par ailleurs, la transformation durable de l’entreprise requiert une capacité à jongler entre court et long terme. C’est dans ce va-et-vient entre divers horizons temporels que le dialogue entre dirigeants et conseils d’administration peut prendre des orientations pertinentes.
Enfin, la question de la résilience est aussi un sujet de plus en plus mis en balance avec la performance, et conjuguer ces deux aspects deviendra un des rôles clés des conseils. Une montée en compétences RSE des administrateurs paraît nécessaire.
Lire aussi : Comment repositionner la RSE au sein des conseils d’administration ?
Frédéric Petitbon - Nous avons tous en tête des entreprises expérimentant un “management libéré” ou de “care”. Souvent portées par des dirigeants passionnés de relations humaines et soucieux de formuler une promesse employeur attrayante, ces ébauches n’en restent pas moins limitées, aussi courageuses et sympathiques soient-elles. Leur ancrage est faible et à la merci d’un changement de gouvernance
Aujourd’hui, je vois trois raisons principales pour lesquelles il est impératif de refonder le modèle managérial autour de la collaboration, de la confiance et de l’inclusivité. Tout d’abord, la complexité des arbitrages à opérer et la multiplicité des parties prenantes à mobiliser imposent que les finalités de l’entreprise soient portées par chaque équipe, chaque fonction, en leur laissant les marges de manœuvre et capacités d’initiative appropriées.
Par ailleurs, nous pensons que la gestion des contradictions entre les impératifs économiques, sociaux et environnementaux doit être en premier lieu assumée par des acteurs responsabilisés à tous les niveaux, en lien avec leur écosystème. Dans ce processus, la diversité des points de vue, des origines et des parcours sera essentielle pour explorer et expliciter les impacts potentiels des décisions.
Émilie Bobin - Il revient à la fonction RSE d'agir de manière toujours plus transversale et d’exercer son pouvoir d’influence sur le dirigeant, le comité exécutif et le conseil d’administration. Marquant le glissement de la RSE traditionnelle vers une fonction stratégique qui intègre l’impact dans le business et orchestre le travail colossal qu’il reste aux entreprises à fournir en matière d’ESG, de nouveaux titres apparaissent : Chief Impact Officer, Head of Impact, Chief of Impact…
C’est ensuite au dirigeant qu’il incombe de convaincre de la nécessité de faire pivoter l’entreprise. Il n’est facile pour personne de rompre avec ses habitudes, d’accepter la nouvelle donne et de se transformer en conséquence. Cependant, l’inaction n’est plus acceptée et un discours de continuité et de réassurance risquerait d’aboutir à une impasse : vis-à-vis des salariés, qui auraient l’impression d’être infantilisés, et vis-à-vis des autres parties prenantes, qui verraient dans ce refus d'obstacle le choix délibéré d’une politique de l’autruche.
Frédéric Petitbon - Les équipes sont en attente de changement. Selon la dernière Hopes and Fears survey de PwC, dirigeants et collaborateurs sont alignés sur l’urgence d’adapter le modèle de l’entreprise - un sentiment particulièrement fort au sein de la jeune génération. Dans ce contexte favorable, les dirigeants disposent de plusieurs options pour construire un discours de rupture mobilisateur :
Communiquer sur la “planète qui brûle”, selon la métaphore de la burning platform. Mais faire peur n’est peut-être pas la meilleure option dans le climat anxiogène ambiant.
S’appuyer sur un exemple concret ou une expérience personnelle pour mettre en lumière le combat à mener. C’est une manière efficace d’engager son public à changer le cours des choses. Le discours mémorable doit ensuite être rapidement suivi par l’annonce et la mise en œuvre d’actions pour ne pas laisser les paroles sans effets.
Parler vrai sans occulter l'ampleur des transformations à opérer. Il convient aussi de d’éclairer sur la manière dont chaque collaborateur peut y contribuer car la visibilité et l’action réduisent l’angoisse.
Pour éviter que le discours de rupture du dirigeant n’engendre une réaction de tétanie, tout l’enjeu est d’ancrer le sujet en profondeur dans les valeurs, la stratégie et les opérations de l’entreprise.