« No ESG, no money » : la performance devient globale, et cela change tout

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  • Publication
  • 31 janv. 2024

Aujourd’hui, le sujet n’est plus d’avoir une « belle stratégie RSE » mais de construire la stratégie de l’entreprise en intégrant sa responsabilité sociétale. Revisiter la stratégie à l’aune des enjeux de durabilité est devenu aussi important, sinon plus, que sous l’angle financier, d’autant que financement et durabilité seront de plus en plus liés. 

 

Le corollaire est que la performance devenue globale (financière et extra-financière) pèse sur les prises de décision. La voie est ouverte à une transformation durable des modèles économiques. Les associés PwC auteurs du livre et Olivier Millet, Eurazeo, qui en signe la préface, reviennent sur ce changement de focale de la performance de l’entreprise et ses implications.

 

Interview des auteurs du livre « Il n’y a pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd » et d’Olivier Millet, membre du Directoire d'Eurazeo, qui en signe la préface.


En quittant la sphère du discours pour entrer de plain-pied dans la stratégie, la question du développement durable suscite des transformations que le dirigeant doit désormais piloter. Dans « Il n’y a pas d’entreprise qui gagne dans un monde qui perd », Émilie Bobin, Sylvain Lambert et Frédéric Petitbon, associés PwC France et Maghreb, partagent leurs convictions sur les bouleversements à venir, qui sont autant des impératifs catégoriques que d’extraordinaires leviers pour transformer les organisations. 

Ce livre-manifeste se double d’une boîte à outil puisque les auteurs puisent dans leur expérience pour partager six clés permettant d’accélérer la construction de cette entreprise du futur en adéquation avec les limites planétaires, les attentes de la société, l’évolution des réglementations et les demandes des investisseurs. L’enjeu : faire de la RSE un levier de transformation, de performance et de pérennité pour l’entreprise.
 

Vous évoquez l’émergence d’un « capitalisme durable ». De quoi s'agit-il ?

Olivier Millet, Membre du Directoire d'Eurazeo - Nous assistons à un pivotement du capitalisme. Aujourd'hui, pour une entreprise, gagner, ce n’est plus uniquement obtenir un succès économique. C’est durer et c’est contribuer à lutter contre ce qui pourrait faire perdre le monde. Car quel serait le sens d’une entreprise qui chercherait à tout prix gagner sans se préoccuper d’un monde qui perdrait ? 

Dans mon métier de capital investissement (private equity), les années 1990 ont misé sur les montages financiers pour augmenter la performance financière des entreprises accompagnées. Aujourd’hui, l’enjeu de pérennité des entreprises impose d’exceller dans tous les terrains de jeu, financiers et extra-financiers, de s’adapter en permanence à des défis mouvants, de faire rimer action de court terme et ambitions de long terme. 

Même en pleine tempête, l’entreprise doit garder le cap, donner du sens, incarner ses valeurs, s’engager… Loin d’être galvaudées, ces notions figurent désormais au cœur de nos analyses de pré-investissement. Elles éclairent les plans de transformation à moyen terme que nous mettons en place avec les dirigeants.

La société et les réalités physiques vont désormais exiger davantage des entreprises. De plus en plus conscientes des limites planétaires et des enjeux sociaux, ces dernières sortent progressivement de leur traditionnelle sphère d’influence financière (les simples profits) pour devenir contributrices du bien commun. 

Il s’agit maintenant de passer résolument de la conscience à l’action. Il ne suffit plus de « penser RSE », il faut intégrer la RSE au cœur de la stratégie. Les entreprises y gagneront une vision de l’ensemble des risques et la capacité d’identifier des opportunités liées aux transformations.

De quelle manière l’entreprise change-t-elle de focale en matière de performance, et qui en est impacté ?

Sylvain Lambert - Jusqu’à présent, les dirigeants distinguaient d’un côté la performance financière de l’entreprise, son rendement financier à court terme pour les actionnaires, et de l'autre ses résultats extra-financiers. Aujourd’hui, et plus encore demain, il faudra diriger l’entreprise en fonction de sa performance globale et rendre compte de l’impact final de son action. 

Toutes les parties prenantes de l’entreprise sont positivement impactées. Ses collaborateurs, dont le sens de l’action change puisque leur travail au quotidien va s’inscrire dans l’impact plus vaste de l’entreprise. Son écosystème (fournisseurs, sous-traitants, start-ups, associations, acteurs publics), avec qui viser des finalités communes d’intérêt général. Et la société au sens large, puisque l’entreprise devra désormais lire sa performance économique à la lumière de la durabilité, et équilibrer ces deux perspectives.

La finalité financière sans durabilité deviendra le signe d’un monde qui perd et donc d’une entreprise qui meurt.

À quoi ressemblera une belle entreprise demain ?

Émilie Bobin - Demain, une entreprise véritablement performante aura une stratégie à impact majoritairement positif, ou la balance de ses activités penchera nettement du côté positif. Elle sera perçue comme telle par l’ensemble de ses parties prenantes, de ses financeurs à ses clients, de ses collaborateurs au régulateur.

La performance économique seule, sans l’éclairage de ses conséquences positives et négatives en matière de développement durable, ne signifiera plus rien. Il se pourrait même qu’à terme seules les entreprises attestant d’une contribution positive aux objectifs de développement durable (ODD) puissent disposer d’un « droit à la croissance ».

Redéfinir la notion de performance apparaît en définitive comme la clé qui permet d’englober toutes les autres. C’est la toile de fond indispensable à partir de laquelle l’entreprise construit une nouvelle vision de son avenir.

Comment redéfinir la notion de performance ?

Sylvain Lambert - Le triptyque « résultats, prospective et impact » sera le nouveau langage de la performance exigé par les investisseurs, permettant de démontrer l’utilité sociétale de l’entreprise conjointement à sa performance économique. La question de la résilience des modèles sera aussi l’un des axes forts de l’analyse. L'entreprise devra démontrer sa capacité à anticiper les grandes tendances, en particulier sociétales, qui pourraient impacter jusqu’à son modèle d’affaires, et à s’adapter. 

Les normes comptables ont été conçues pour gérer une information comptable orientée sur les résultats financiers. Elles devront évoluer pour mesurer la performance globale en tenant compte à la fois des résultats, de l’engagement, de l’impact et de la résilience des entreprises. La donnée en matière de développement durable devra être aussi disponible, accessible, fiable, comparable et contrôlée que la donnée financière. Ce sera d’ailleurs un impératif d’ici 2028 pour répondre à la réglementation (taxonomie verte européenne, CSRD). Des travaux sont en cours pour développer une comptabilité multi-capitaux qui réponde à ce besoin.

Le triptyque ‘résultats, prospective et impact’ constituera demain la colonne vertébrale d’une performance devenue globale.

Confrontées à ces changements, toutes les entreprises sont-elles logées à la même enseigne ?

Frédéric Petitbon - Pour passer rapidement d’une RSE dans son silo à une RSE intégrée au core business, c’est tout le logiciel qu’il va falloir changer. Les entreprises se trouvent à un point de bascule équivalent à celui qui les a vues naître avec l’invention de la machine à vapeur. 

Deux questions majeures vont rapidement se poser à tous les dirigeants d’entreprise. Ma stratégie et mes activités sont-elles solides face aux limites physiques ? Sociétalement, mes activités bénéficieront-elles d’une forte adhésion et quelle sera la nature de ma licence to operate ?

Selon les activités ou les géographies, la transformation des activités ira de « envisageable » à « impossible ». Cela appelle une forte capacité d’anticipation à long terme. Le dirigeant devra comprendre si son cœur d’activité sera compatible avec les ODD, condamné à moyen ou long terme au regard des limites planétaires, ou transformable. Dans ce dernier cas, d’importantes incertitudes vont peser sur les coûts, les financements, le rythme à adopter et les implications économiques et sociales (conversion de sites industriels, d’emplois et de compétences, par exemple).

Comment adapter ou refonder le modèle économique ?

Émilie Bobin - Le sujet du modèle économique et de la réallocation du portefeuille d’activités est sans doute l’un des plus difficile à relever, mais aussi le plus déterminant pour répondre au durcissement des obligations réglementaires et agir en faveur d’une économie soutenable à l’horizon 2050. 

  • Transformer les modèles d’affaires requiert d’expliciter voire de refonder la raison d’être afin d’ouvrir le champ des possibles dans une logique d’impact. Penser large permet de de tirer les fils à la fois sur l’amont de la chaîne de valeur (approvisionnements, localisation, fournisseurs, éco-conception) et sur l’aval (usage des produits et services, fin de vie, comportement des consommateurs).

  • L’innovation technologique peut contribuer à la transformation des procédés, des produits et des personnes/comportements (les 3P). Si la technologie au sens large est un enabler, il est cependant probable qu’elle sera insuffisante à elle seule pour atteindre les objectifs.

Chaque entreprise va être amenée à opérer des choix en fonction de sa compréhension de l’environnement des affaires et de son évolution, mais aussi à combiner des choix défensifs et offensifs à partir du diagnostic qu’elle pose sur sa situation de départ.

Lire aussi : Baromètre 2023 des ODD publié par Le Pacte mondial de l’ONU - Réseau France et PwC France et Maghreb

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Emilie Bobin

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Associée Développement durable, PwC France et Maghreb

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