Le numérique serait responsable de 2,5% de l’empreinte carbone de la France et de 10% de la consommation électrique mondiale*. Les technologies numériques posent également la question centrale de l’usage et de la disponibilité de ressources spécifiques, telles que les métaux rares, dont l’extraction est croissante alors qu’elles existent en quantités limitées.
S’il est clairement à l’origine de problèmes environnementaux, le numérique est aussi source de solutions. C’est sur ces dernières que s’est penchée la Commission transition écologique et numérique du DigiWorld Institute, aux travaux de laquelle PwC France et Maghreb contribue depuis 2021.
Sylvain Lambert, associé Développement durable, PwC France et Maghreb, et Jean-Baptiste Petit, directeur développement durable, PwC France et Maghreb, reviennent sur les actions numériques possibles identifiées par la commission pour impacter positivement la transition environnementale.
Sylvain Lambert - La commission insiste sur la nécessité de développer une vision holistique – à la fois écologique, sociétale et économique – pour s’engager sur la voie d’un numérique responsable.
Elle axe également sa réflexion autour des grands leviers du numérique : les pratiques Green IT pour réduire l’impact environnemental du numérique, et les cas d’usage IT for Green pour que le numérique aide les autres secteurs à réduire leur impact environnemental. Le troisième levier, Green by design, a fait l’objet des travaux de la commission en 2022.
Les effets directs et indirects du numérique sur l’environnement sont multiples : effets rebond, surdimensionnement, usages non pertinents… Concrètement, limiter ces effets négatifs passe par des actions telles que l’allongement de la durée de vie des équipements numériques, l’efficacité énergétique et la maîtrise des consommations électriques, l’adoption des principes d’écoconception, d’utilité, de durabilité et de sobriété.
Qu’est-ce qu’un effet rebond ?
En économie et en écologie, l’effet rebond désigne un accroissement de la consommation provoqué par la réduction de ce qui limite l’usage d’un bien ou d’un service. On parle aussi de paradoxe de Jevons lorsque, à mesure que les améliorations technologiques augmentent l'efficacité avec laquelle une ressource est employée, la consommation totale de cette ressource augmente au lieu de diminuer.
Ainsi, l’arrivée de solutions plus efficaces en matière d’énergie peut paradoxalement inciter à en augmenter la consommation totale. Par exemple, on a vu des ménages isoler leur logement non pour réduire leur consommation d’électricité mais pour obtenir à une température plus élevée à consommation égale.
Il est désormais nécessaire de dimensionner les équipements par rapport à un usage réfléchi et de prévoir l’introduction des énergies renouvelables, par exemple. Un autre axe de réflexion consiste à questionner la pertinence de certains usages. À titre personnel, je pense qu’il faut aussi accepter ce débat complexe, notamment dans le domaine des très hauts débits.
La commission rappelle enfin que la valorisation des technologies numériques de pointe doit, dès la conception, intégrer leurs apports chiffrés en matière de transition écologique et d’impact climatique.
Jean-Baptiste Petit - Selon la GSMA et le Carbon Trust, 1 gramme de CO2e investi dans le numérique permettrait d’éviter 10 grammes de CO2e dans les autres secteurs.
Par exemple, les systèmes intelligents de chauffage, ventilation et climatisation pourraient réduire de 25 % la consommation électrique d’un bâtiment commercial. Les systèmes intelligents de gestion du trafic peuvent éviter jusqu’à 10% des émissions de gaz à effet de serre (GES). La télémédecine serait une alternative à 45% des admissions à l’hôpital. Certaines technologies mobiles peuvent aussi réduire l’usage de fertilisants chimiques de 40% et la consommation d’eau de 20% à 40%.
Pour activer ce potentiel, la commission transition écologique et numérique du DigiWorld Institute recommande d’arbitrer en quantifiant et en mettant en balance les impacts environnementaux négatifs et positifs des technologies numériques. La commission a également réuni, dans la synthèse de ses travaux, des cas d’usage concrets d’acteurs engagés aussi divers qu’Engie, Mozark.ai et Orange.
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Tous les secteurs d’activité sont en effet concernés par le potentiel d’impact positif pour l’environnement de la numérisation, des réseaux électriques intelligents (smart grids), des bâtiments intelligents, de la mobilité et des transports intelligents…
Le numérique peut-il aider à réduire l’empreinte carbone de l’agriculture ?
Selon la GSMA, l’agriculture connectée pourrait éviter jusqu’à 3% des émissions de GES. Dans ce secteur, PwC a développé une application combinant vision satellitaire et intelligence artificielle (IA) pour optimiser et limiter l’utilisation d’engrais chimique.
Jean-Baptiste Petit - Pour savoir où agir en priorité, il convient de mesurer les impacts sur toute la chaîne de valeur du numérique. En attendant le développement d’un référentiel commun, la quantification des externalités environnementales du numérique repose aujourd’hui sur des modèles statistiques.
Chez PwC, nous utilisons par exemple depuis longtemps une méthodologie eP&L, utilisée par exemple pour Kering. Nous sommes également en train d’affiner le LIFTS Accounting Model© développé par Delphine Gibassier dans le cadre de la chaire Comptabilité globale multi-capitaux d’Audencia, dont nous sommes l’un des co-fondateurs avec Danone et L’Oréal.
L’analyse du cycle de vie (ACV) des produits permet de comprendre la répartition des impacts environnementaux du numérique. En France, les impacts environnementaux (consommation d’énergie primaire, émission de GES) sont plus importants dans la phase de fabrication des équipements numériques que dans leur phase d’utilisation, du fait d’un mix électrique national faiblement carboné.
La répartition des impacts indique quelles actions prioriser. Ainsi, les terminaux, qui ont une empreinte environnementale supérieure à celle des autres actifs numériques (réseau, data centers), doivent allonger leur durée de vie. En France, les équipements utilisateurs, et notamment les téléviseurs du fait de la taille des écrans, concentrent jusqu’à 91% des impacts environnementaux. Leur réemploi ou recyclage est essentiel.
Des entreprises comme la SNCF l’ont bien compris en concevant une chaîne de recyclage ou de réemploi systématique de tous équipements numériques en fin de vie.
Suivre les principes de l’écoconception (utilité, durabilité, sobriété) à toutes les étapes du cycle de vie des équipements permet d’améliorer leur impact environnemental, notamment en repensant leur réutilisation et leur fin de vie.
Le levier de la consommation d’énergie est également déterminant : en quantité (paramétrage d’efficience énergétique par défaut), mais aussi en qualité (choix d’une électricité d’origine renouvelable). Les équipements très énergivores comme les serveurs sont tout particulièrement concernés. Des gaspillages peuvent être évités lorsque la puissance de calcul et la capacité de stockage des infrastructures sont correctement dimensionnées par rapport aux besoins réels.
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Sylvain Lambert - PwC France et Maghreb est engagé, via de multiples initiatives zéro émission nette, dans la réduction de son empreinte environnementale, tout en accompagnant ses clients dans leurs démarches de développement durable.
Par exemple, nous avons développé une application de suivi de budget carbone de nos déplacements. Nos clients et nos collaborateurs peuvent utiliser Environmental Footprint Insights dans le cadre de leurs activités professionnelles.
Chez nos clients, nous accompagnons les DSI dans leur stratégie de numérique responsable. Nous mobilisons leur management lors d’ateliers de sensibilisation, évaluons leur empreinte environnementale, co-construisons leur plan d’action et les aidons à réduire leurs externalités négatives grâce à des solutions numériques de mesure d’impact.
Plus largement, l’usage de la data RSE est à placer au cœur des démarches de développement durable des entreprises dans un contexte où la réglementation comme les attentes sociétales sont de plus en plus élevées. À terme, la qualité, la fiabilité et la standardisation des données RSE devront être au même niveau que les données financières.
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Le DigiWorld Institute, anciennement IDATE DigiWorld, est une plateforme d’échanges proposée aux acteurs publics et privés européens, nationaux et locaux “pour débattre, échanger et construire ensemble la société digitale positive de demain”. L’objectif de ce think tank est de contribuer à un projet industriel digital européen, inclusif et responsable.
Au sein de la Commission numérique et transition environnementale, PwC France et Maghreb participe aux travaux des ateliers Green by design (Sylvain Lambert, Jean-Baptiste Petit, Romain Garnier), Metaverse, Web3, NFT (Guillaume Charly), Avenir des opérateurs télécoms et Cybersécurité by design (Philippe Trouchaud, Jamal Basrire).
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* Sources ADEME, 2022 : Quels sont les impacts du numérique ? et Empreinte carbone du numérique
** Définition de l’équivalent CO2 (CO2e) par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC, ou IPCC en anglais) :
“L'émission en équivalent CO2 est la quantité émise de dioxyde de carbone (CO2) qui provoquerait le même forçage radiatif intégré, pour un horizon temporel donné, qu’une quantité émise d’un seul ou de plusieurs gaz à effet de serre (GES).
L’émission en équivalent CO2 est obtenue en multipliant l’émission d’un GES par son potentiel de réchauffement global (PRG) pour l’horizon temporel considéré. Dans le cas d’un mélange de GES, l’émission en équivalent CO2 est obtenue en additionnant les émissions en équivalent CO2 de chacun des gaz.
Si l’émission en équivalent CO2 est une mesure couramment utilisée pour comparer les émissions de différents GES, elle n’implique cependant pas d’équivalence en ce qui concerne les réponses correspondantes du changement climatique. Il n’existe en général aucune corrélation entre les émissions en équivalent CO2 et les concentrations en équivalent CO2 qui en résultent.”