Quatre actions pour mieux gérer le coût caché du carbone

coût caché du carbone
  • Publication
  • 21 mai 2024

Pour les entreprises, les mécanismes de tarification du carbone génèrent des coûts aussi profondément que discrètement ancrés dans les chaînes d'approvisionnement. Ces coûts, qui se cumulent parfois, peuvent affecter la rentabilité et la compétitivité d’une activité. Il existe cependant des moyens de les gérer plus efficacement. La méthodologie de modélisation des coûts carbone développée par PwC y contribue.

 

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Comment ne pas se laisser prendre au dépourvu par le coût caché du carbone ?

Depuis 2010, nous constatons au niveau mondial une double augmentation : celle du prix moyen du carbone, mais aussi la part des émissions de carbone qui sont soumises à ce mécanisme de tarification. Ces tendances devraient se poursuivre, de nombreux pays prévoyant d'augmenter le prix du carbone ou de mettre en place des mécanismes de tarification. Afin de limiter leur exposition à ce risque, les entreprises peuvent mettre en place certaines pratiques. Les quatre suivantes ont fait leurs preuves dans de grands groupes internationaux.

Une bonne gestion du coût caché du carbone commence par la collecte de données d’émissions de carbone dans les processus de production de l'entreprise. Sur ses sites en propre, mais aussi en amont, dans sa chaîne d'approvisionnement. 

C’est rarement une tâche aisée, quand les fournisseurs peuvent se compter par milliers dans des secteurs comme les biens de consommation. Or, c’est une étape essentielle car 20% des achats peuvent être responsables de la majorité (jusqu'à 80%) des émissions de CO2 dans la chaîne d'approvisionnement d'une entreprise. L’effort doit porter sur la collecte d'informations utiles et exploitables, même si elles ne sont pas complètes ou exhaustives.

Pour comprendre comment les prix du carbone s'appliquent aux émissions, l’entreprise doit tenir compte des variations de prix selon le secteur d’activité et le type de gaz à effet de serre (GES). Dans l’Union européenne, plus de 11 000 sites industriels et de production d’énergie sont soumis au système d’échange de quotas d’émission (SEQE-UE). Selon le secteur d’activité concerné, les sites (hors secteur de la production électrique) reçoivent des allocations gratuites, qui diminuent avec le temps afin de s’inscrire dans une trajectoire de décarbonation alignée avec les objectifs internationaux. À titre indicatif, le coût d’une tonne de CO2e était de 80 euros au 31 décembre 2023.

Les mesures d'incitation à la décarbonation (crédits d’impôt, subventions, prêts à faible taux d'intérêt) mises en place au niveau national ou international offrent des opportunités de financer une part non négligeable des investissements dans les énergies propres. Pour un fabricant de ciment international, une étude approfondie a révélé que les incitations gouvernementales couvraient 50% des coûts des projets de réduction des émissions qu'il envisageait. En complément, la plupart des systèmes d'échange de droits d'émission permettent aux entreprises qui réduisent leurs émissions de CO2 de générer des crédits carbone, qui peuvent ensuite être vendus.

Par ailleurs, les directions achats peuvent aider leurs fournisseurs à réduire leurs coûts carbone. En appliquant la modélisation développée par PwC (cf. méthodologie ci-dessous), l’on voit que ces coûts de scope 3 peuvent représenter une part substantielle du coût total du carbone d'une entreprise. En identifiant les maillons de la chaîne d'approvisionnement responsables de la majeure partie des coûts carbone, une entreprise saura quels fournisseurs inviter à établir des plans de réduction des émissions et à prendre les mesures correspondantes.

Les réglementations existantes ou à venir en matière de tarification du carbone entraînent potentiellement des coûts importants. Les acteurs du transport maritime, par exemple, commenceront bientôt à payer pour les émissions de carbone liées à la consommation de carburant dans le cadre du système communautaire d'échange de quotas d'émission, ce qui pourrait avoir une incidence sur le prix des marchandises transportées par voie maritime.

Par ailleurs, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), en phase transitoire depuis octobre 2023 pour une entrée en vigueur en 2026, imposera aux importateurs européens de déclarer les émissions carbone embarquées de leurs marchandises. Des certificats MACF devront être achetés en conséquence, au même prix que pour le SEQE-UE. Avec cette entrée en vigueur du mécanisme, les allocations gratuites d’émissions carbone du SEQE-UE seront supprimées, même pour les secteurs protégés au risque de “fuite de carbone”.

Réaliser des scénarios d’évolution des prix du carbone est un moyen d’identifier la manière de réduire ces coûts aujourd'hui (par exemple, en décarbonant ses opérations) et de mieux maîtriser le risque de tarification demain. Certains dirigeants intègrent la hausse des prix du carbone dans leurs processus de gestion des risques et d'évaluation des investissements au fil du temps.

« Il est probable que le prix et le coût du carbone continuent d’augmenter. Pour réussir une transformation durable, l’entreprise doit les anticiper et évaluer leur impact. Le risque pourra être réduit en identifiant où se cachent les coûts du carbone dans la chaîne d'approvisionnement et en tenant compte des potentielles augmentations dans la prise de décisions. Cela aidera l’entreprise à se décarboner et à créer plus de valeur sur le long terme. » 
- Olivier Muller, Associé développement durable, PwC France et Maghreb

Lire l’article complet : The hidden cost of carbon

Les scénarios d’évolution du coût caché du carbone peuvent sembler lointains. Mais les marchés se préoccupent déjà de l’impact que des augmentations pourraient avoir sur la rentabilité et la compétitivité des entreprises. Certains acteurs bancaires et de capital-investissement évaluent systématiquement les risques liés à la tarification du carbone auxquels sont confrontés les emprunteurs et les entreprises de leur portefeuille.

Les dirigeants gagneront à interroger les investisseurs, prêteurs, assureurs et autres institutions financières sur la manière dont ils intègrent les risques liés au carbone dans leurs analyses. En retour, des explications peuvent leur être apportées sur la manière dont l'entreprise gère son exposition à la tarification du carbone et aux autres risques liés au climat, en mettant en avant l’effet d’une réduction des émissions sur la valeur de l’entreprise.

À l’échelle nationale, l'État français intègre dans l’analyse socio-économique des projets d’investissement en matière d’infrastructure une valeur tutélaire du carbone. Issue du Rapport Quinet, cette valeur représente le prix estimé du carbone qu’il faudrait mettre en place pour atteindre l’objectif national de diviser par quatre les émissions de GES d’ici 2050. Elle est de 152 euros par tonne de CO2e en 2024 et atteindra 250 euros par tonne de CO2e en 2030.

La méthodologie PwC de modélisation des coûts carbone

L’impact des mécanismes de tarification du carbone sur les coûts de la chaîne d'approvisionnement peut être difficile à mesurer. Pour estimer ce coût caché du carbone, PwC se base sur son modèle Efficient Supply Chain Emissions Reporting (ESCHER) en y intégrant les prix du carbone du Carbon Pricing Dashboard de la Banque mondiale. Le résultat est un ratio du coût caché du carbone. Il représente le coût des taxes sur le carbone et des quotas d'émission en pourcentage des ventes (chiffre d'affaires) pour 65 secteurs et 141 pays et régions dans le monde.

 

Qu’est-ce que le modèle d'entrées-sorties ESCHER de PwC ?

Cette méthodologie de modélisation se base principalement sur la version 10 des données d'entrées-sorties du Global Trade Analysis Project (GTAP, un réseau mondial de chercheurs), ainsi que sur les données GTAP relatives aux émissions de dioxyde de carbone, d'oxyde nitreux, de méthane et de gaz fluorés. Bien que les données disponibles les plus récentes datent de 2014, le modèle fournit une représentation des chaînes d'approvisionnement et des niveaux d'émissions suffisamment proches des conditions actuelles pour être indicatif des coûts du carbone payés par les entreprises aujourd'hui. PwC intégrera les nouvelles données dès leur publication pour mettre à jour son modèle

 

Le modèle ESCHER permet de calculer le multiplicateur du coût caché du carbone selon trois scénarios de prix du carbone :

  • Un scénario basé sur les prix actuels. Documentée par la Banque mondiale, la tarification du carbone actuellement en vigueur couvre 73 initiatives régionales, nationales et infranationales de tarification du carbone mises en œuvre au 31 mars 2023. Elle fournit des informations sur deux types de tarification du carbone : les systèmes d'échange de droits d'émission et les taxes sur le carbone. 

  • Un scénario aligné sur le MACF. Lorsque ce mécanisme d’ajustement carbone aux frontières sera mis en œuvre intégralement, l’importation dans l'Union européenne de certains produits à forte intensité de carbone (fer, acier, aluminium, ciment, engrais, produits chimiques et hydrogène) sera soumise à un droit de douane sur leurs émissions de scopes 1 et 2. Le tarif appliqué dans le modèle ESCHER est l'excédent, le cas échéant, du coût du carbone des émissions du scope 1 (directes) et du scope 2 (électricité achetée) au prix actuel du carbone dans l'UE, par rapport au coût actuel du carbone dans le pays exportateur. 

  • Un scénario zéro émission nette. Il s’agit des prix du carbone pour 2030 définis dans le scénario économique de l'Agence internationale de l'énergie (AIE, 2021) pour atteindre des émissions nettes de CO2 nulles d'ici 2050. L'AIE définit différentes trajectoires de prix du carbone par groupes de pays : les économies avancées (OCDE + Bulgarie, Chypre, Croatie, Malte et Roumanie), les grandes économies émergentes (Afrique du Sud, Brésil, Chine et Russie), et tous les autres pays. Ces trajectoires couvrent les prix des secteurs de l'électricité, l'industrie et la production d'énergie. Le modèle ESCHER utilise le prix actuel du carbone pour les autres secteurs et dans les cas où le prix actuel du carbone dépasse le prix net zéro de l'AIE.


Merci à Maxime Moujeard, Manager, PwC France et Maghreb, pour sa contribution à ce texte.

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Olivier Muller

Olivier Muller

Associé Développement durable, PwC France et Maghreb

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