Ce que les entreprises de tous secteurs peuvent apprendre des pionniers du reporting de durabilité

Analyse de la double matérialité : comment saisir les opportunités ?

analyse des opportunités
  • Publication
  • 02 févr. 2024

Avec la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), la réglementation européenne impose le principe de double matérialité. L’analyse de double matérialité correspond à l’identification des enjeux ESG importants pour l’entreprise, ainsi que pour la société et l’environnement. De ce fait, elle constitue la pierre angulaire du reporting de durabilité. En vertu de ce principe, seules les informations de durabilité jugées matérielles (du point de vue de la matérialité d’impact et/ou de la matérialité financière) seront à fournir par les entreprises concernées dans leur rapport de durabilité. L’approche de l’analyse de matérialité s’inscrit à deux niveaux : 1. La matérialité des enjeux ESG (impacts, risques et opportunités “IRO”), et 2. la matérialité de l’information.

 

Avant même l’entrée en vigueur de cette directive, publiée au Journal officiel de l’UE en décembre 2022, de grands groupes français s’étaient positionnés en précurseurs en intégrant le concept de double matérialité à leur reporting de durabilité dans le cadre d’une remise à plat stratégique. 

 

Pour les entreprises qui se lancent maintenant dans l’exercice, Clémence Calzaroni, Directrice, Anne Lenglet, Associée, et Caroline Nait-Merabet, Associée, PwC France et Maghreb, tirent les enseignements de ces missions d’accompagnement en avance de phase qu'elles ont conduites dans divers secteurs (agroalimentaire, automobile, matériaux de construction…).

 

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Qu’est-ce que la double matérialité ?

Clémence Calzaroni - Pour juger de la matérialité d’un sujet, l’entreprise devra mener une analyse de matérialité sous le prisme d’une part de sa matérialité d’impact (c’est-à-dire l’impact matériel que l’entreprise peut avoir sur la population ou l’environnement) et, d’autre part, de sa matérialité financière (c’est-à-dire les effets financiers matériels, du point de vue des principaux utilisateurs, que les enjeux de durabilité peuvent avoir sur l’entreprise, par exemple sur ses futurs cash flows).

Plus précisément, un sujet de durabilité sera matériel du point de vue de la matérialité d’impact lorsqu’il a trait aux impacts matériels positifs ou négatifs, réels ou potentiels, de l’entreprise sur la population ou l’environnement à court, moyen ou long termes. Tel sera par exemple le cas d’un producteur de boissons qui prélève de l’eau dans une zone de stress hydrique : l’entreprise devra inclure cet impact négatif sur l’environnement dans son reporting de durabilité.

Un sujet de durabilité sera matériel du point de vue de la matérialité financière s’il entraîne des risques ou opportunités qui auront des effets matériels sur le développement, la position financière, les résultats financiers et les flux de trésorerie d’une entreprise, ainsi que sur son accès au financement ou le coût du capital à court, moyen et long termes. Pour reprendre l’exemple du fabricant de boissons, le risque de ne plus pouvoir prélever d’eau dans les nappes phréatiques pourrait entraîner des effets financiers pour l’entreprise, avec la nécessité de revoir sa stratégie.

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Exercice imposé aux entreprises, la double matérialité présente cependant des opportunités. Lesquelles ?

Clémence Calzaroni - Avec la CSRD, la double matérialité est à la fois un exercice de conformité réglementaire et un exercice stratégique. 

C’est un exercice de conformité réglementaire puisqu’elle permet de déterminer la liste des sujets de durabilité ainsi que les impacts, risques et opportunités matériels sur lesquels l’entreprise devra rendre compte dans son rapport de durabilité. Elle doit ainsi permettre de fournir aux parties prenantes les informations qui les intéressent.

Mais avant tout, l’analyse de double matérialité est une force motrice dans l’intégration des enjeux de durabilité dans la stratégie globale de l’entreprise, dont elle renforce l’ambition dans ce domaine. L’exercice induit en effet un regard global et une vision à long terme sur l’entreprise. Il évalue à la fois les risques, les dépendances et les conséquences de l’entreprise sur son écosystème, mais également sa capacité à créer de la valeur. Structurant, il aide les entreprises à prioriser leurs enjeux pour se transformer et donner une résonance par rapport à la stratégie et aux trajectoires déjà identifiées.

Dès 2022, certains groupes français ont souhaité être en avance de phase en s’emparant de la CSRD avant même que le texte ne soit finalisé, et notamment de la double matérialité, pierre angulaire de toute stratégie de développement durable. Les analyses pionnières de la double matérialité ont également pu faire partie d’une remise à plat stratégique dans certains cas bien particuliers, tels que :

  • l’évolution notable des relations avec les parties prenantes (une opportunité d’initier ou de rouvrir le dialogue avec elles) ;

  • la transformation du modèle d’affaires. Nous avons ainsi accompagné un acteur automobile majeur qui a souhaité intégrer l’analyse de double matérialité à sa transition de constructeur à fournisseur de solutions de mobilité ;

  • le développement d’une nouvelle activité. Un fonds d’investissement a par exemple fait appel à PwC pour lancer un fonds dans un nouveau secteur en tenant compte à la fois des risques et des impacts ESG.

Pour une entreprise, analyser la double matérialité de son activité sert aussi à prendre conscience des besoins de son écosystème. Or, bien connaître les attentes de ses parties prenantes et communiquer de façon pertinente à leur attention est très important pour des entreprises qui, de plus en plus, devront aller vers des modèles plus participatifs pour répondre à leurs engagements ESG pour sortir d’une vision auto-centrée et mieux comprendre et identifier des faiblesses dans leur démarche ESG

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Pourquoi la double matérialité est-elle importante pour toutes les entreprises françaises ?

Anne Lenglet - Avec le principe de double matérialité, la Commission européenne adopte une approche plus ambitieuse que la norme internationale de reporting extra-financier publiée en juin 2023 par l’International Sustainability Standards Board (ISSB). Se fondant sur le principe de la matérialité simple, l’ISSB ne vise à mesurer que les impacts financiers des risques ESG sur l’entreprise. Son objectif est de répondre au besoin de transparence des investisseurs, sans s'adresser à l'ensemble des parties prenantes.

Pour les entreprises, c’est avant un outil d’aide à la décision stratégique pour nourrir les réflexions sur l’intégration des sujets de durabilité dans la stratégie globale à la fois en termes de gestion des risques mais également de création de valeur

La Commission européenne va plus loin avec ce principe de double matérialité. Les entreprises concernées vont donc se trouver face à des attentes de reporting de durabilité considérables, à la hauteur des ambitions européennes. La première prise de conscience des entreprises doit être l’effort de mise en conformité à fournir selon le calendrier prévu. Le tout premier chantier.de la CSRD sera l’analyse de la double matérialité.

À noter que les entreprises françaises bénéficient d’un léger temps d’avance. C’est en effet la logique qui a dicté la loi française sur le devoir de vigilance qui s’impose peu à peu dans les logiques de reporting européennes, dont la CSRD. Mais la CSRD impose aux entreprises de la transparence, mais elle n’impose pas d’agir ou d’adopter des plans de transition (même si la transparence les y incite fortement). Lorsqu’une information est exigée, l’entreprise doit publier ce qu’elle fait ou a l’intention de faire dans ce domaine conformément aux ESRS, mais elle a également la possibilité de déclarer qu’elle ne traite pas le sujet en question.

Quelles entreprises sont concernées par la CSRD et à partir de quelle date ?

Par ailleurs, les nouveaux cadres réglementaires sur le reporting de durabilité ont une implication sur toute la chaîne de valeur, qui est incluse dans les périmètres d’engagement ESG. Les sociétés donneuses d’ordre attendent aussi un reporting de durabilité de leurs fournisseurs. Peu à peu, toutes les entreprises finiront par être concernées, qu’elles tombent sous le coup de la CSRD ou pas - et pas seulement sur les questions climatiques.

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Quels sont les enseignements à retenir des premières mises en œuvre de la double matérialité dans le reporting de grands groupes ?

Caroline Nait-Merabet - L’une des difficultés dans la mise en œuvre de la double matérialité, et plus largement de la CSRD, est qu’il n’existe pas d’approche universelle applicable à toutes les entreprises. Même si le European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) apporte un cadre général et a rendu public un projet de guide complémentaire qui vise à préciser ou illustrer certains points relatifs à l’exercice, cela n’est pas prescriptif. 

L’analyse de la double matérialité d’une entreprise variera selon son secteur, ses domaines d’activité, sa taille, sa gouvernance, son implantation géographique, etc. Il peut y avoir autant de méthodologies qu’il existe d’entreprises, d'où la nécessité de développer l’approche la plus adaptée à sa réalité et à son contexte.

En détaillant toutes les étapes d’un exercice de double matérialité, l’étude que PwC France et Maghreb publie avec la Chaire Audencia Performance globale compatibilité multi-capitaux, l’Institut français des auditeurs et contrôleurs internes (IFACI) et l’Observatoire de la Responsabilité sociétale des Entreprises (Orse) illustre la singularité des approches. Cependant, quelques grandes règles générales se dégagent des applications de la double matérialité par les entreprises qui se sont lancées les premières.

Mobiliser les acteurs clés en interne

  • Débuter l'exercice de double matérialité par un dialogue en interne pour mobiliser et solliciter la contribution des acteurs clés sur les sujets.

  • Associer différentes fonctions en dé-silotant les fonctions stratégie, RSE, finance, risques, conformité, vigilance, etc. Par nature, ce projet est collaboratif vu la variété de sujets abordés.

  • Mobiliser les dirigeants qui disposent d’un levier de priorisation des enjeux utile et qui pourront générer plus de moyens pour mettre en oeuvre les chantiers prioritaires

Adopter une approche progressive et évolutive

  • Démarrer de manière simple en capitalisant sur l’existant : devoir de vigilance et dispositifs de gestion des risques.

  • Structurer un premier exercice en conformité avec les nouvelles exigences introduites par les textes (formalisation du processus, périmètre de l'analyse en termes de chaîne de valeur et de thèmes obligatoires, identification des impacts, risques et opportunités, etc.), tout en acceptant que l'exercice sera renforcé au fil du temps. En effet, progressivement, il sera nécessaire d'approfondir le niveau de détail pour améliorer la connaissance et la mesure des enjeux de durabilité, en ajoutant de la granularité dans l'analyse.

À retenir, les ESRS constituent avant tout un outil de pilotage de la trajectoire des entreprises vers des modèles d’affaires durables, avant d’être un instrument de transparence.

Merci à Laurène Georghiou, Manager, Carl Jouaneau, Senior Manager, et Axelle VigneSenior Manager, PwC France et Maghreb, pour leur contribution à cet article

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Anne Lenglet

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Associée, Sustainability Reporting, PwC France

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Caroline Naït-Merabet

Associée, Sustainability Risk & Regulatory, PwC France et Maghreb

Clémence Calzaroni

Clémence Calzaroni

Directrice, PwC France et Maghreb

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