La direction financière, fer de lance de la diversité en entreprise ?

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  • Point de vue

Interview de Karine Sirmain, ENGIE, et Anne Bitzer, Organon

Cette année, l’Association nationale des directeurs financiers et de contrôle de gestion (DFCG) a mis à l’honneur le thème de la diversité lors de son événement Financium. Karine Sirmain, Vice-Président Financement, Risques & Assurances chez ENGIE, a été récompensée du Prix Diversité du Financium 2022 tandis qu’Anne Bitzer, Directeur Finance chez Organon, a reçu le Prix de l’Impact social.

Dans cette interview, Laurent Morel, associé consulting finance chez PwC France et Maghreb et auteur de l’étude Priorités 2022 des Directions financières, revient avec les deux lauréates sur l’engagement et le rôle de la profession financière en matière d’inclusion et de diversité.

Comment le sujet de la diversité s’est-il présenté dans votre parcours professionnel ?

Karine Sirmain (ENGIE) : Un parcours professionnel très divers est un catalyseur pour comprendre les diversités. Aujourd’hui, je suis en charge des métiers de financement et de risk management pour tout le groupe ENGIE. Mais, en 30 ans de carrière, j’ai changé de fonction en moyenne tous les trois ans, ce qui m’a forcé à intégrer des sujets très divers, financiers bien sûr mais aussi stratégiques et opérationnels.

Au-delà de la diversité de sujets professionnels, on touche du doigt la diversité des cultures, des mindsets et des approches. On voit par exemple comment un sujet sera abordé avec des yeux d’ingénieur quand on est sur le terrain, et avec des yeux de financier quand on est au siège. Ce n’est pas du tout du tout la même chose ! Je pense que cela sensibilise beaucoup à la diversité de manière générale.

Anne Bitzer (Organon) : J’ai occupé plusieurs fonctions financières dans des entreprises et des pays différents. J’ai commencé ma carrière au sein du laboratoire pharmaceutique suisse Novartis, en contrôle de gestion des essais cliniques. Puis j’ai rejoint le laboratoire pharmaceutique américain MSD, dans lequel j’ai exercé différentes fonctions finance en France (Manager des prévisions de dépenses, Directeur contrôleur de gestion) et en Belgique en tant que Directeur Finance .

Cette expérience en Belgique a été riche car la culture était différente ainsi que le périmètre de mes fonctions (commercial et production, santé humaine et santé animale). Cela m'a énormément  nourri et m'apporte toujours beaucoup, notamment dans mon rôle de Directeur financier chez Organon France. Ce laboratoire pharmaceutique dédié à la santé des femmes est issu du spin off d’une partie des activités de MSD, en 2021.

Pourquoi la diversité est-elle importante pour une direction financière ?

Anne Bitzer (Organon) : Pour moi, parler de diversité est insuffisant. Il est nécessaire d’aller jusqu'au niveau de l'inclusion pour faire avancer les organisations aujourd'hui et pour préparer demain. En tant que Directeur financier, on se doit aussi de montrer l'exemple au sein du comité de direction et de partager sur ces sujets clés de la culture d’entreprise.

Chez Organon, notre première mission était de créer l’entité en France. Nous avons débuté avec une soixantaine de personnes et recruté pour atteindre notre effectif actuel de 180 collaborateurs.

Nous avons recruté 110 personnes de 60 entreprises sur différents métiers : délégués parcours de soin, chefs de produit, financiers etc. Aller chercher des talents en dehors du secteur pharmaceutique, par exemple, fait partie de nos priorités pour enrichir nos manières de travailler.

Karine Sirmain (ENGIE) :  Nous avons été très directionnels en faisant le choix de commencer par le sujet de l'égalité de genre. Je ne mets pas ce terme en opposition avec l’inclusion, dont Anne a souligné l’importance, mais nous sommes dans une culture de la priorisation et la mixité est venue d’abord.

Nous trouvions inadmissible de ne pas représenter la société actuelle dans nos organisations et d'avoir des distorsions de genres. L’humanité est composée de 50% de femme et de 50% d’hommes. Pour nous, qui sommes un groupe industriel, cet écart entre l’entreprise et la société est très visible. Pourquoi la mixité est-elle si importante ? Parce que lorsqu’on ne reflète pas la réalité de la société, c'est un formidable risque de se déconnecter du réel et des attentes de nos parties prenantes.

Chez ENGIE, comment avez-vous poussé le sujet de la mixité dans votre organisation ?

Karine Sirmain (ENGIE) : D'abord en factualisant, puis en fixant des objectifs et en les mesurant régulièrement. Chez ENGIE, la finance était un tout petit peu pionnière sur le sujet : dès 2017, nous nous étions ainsi fixés un objectif de parité pour nos leaders de la finance, soit environ 300 personnes dans un collectif de 5 000. L’objectif s’est ensuite étendu à tout le Groupe : c'est devenu l’un des KPI clés de notre reporting, au même titre que la croissance du chiffre d'affaires ou le niveau de notre résultat net récurrent part du groupe. Atteindre 50% de femmes dans la population de cadres est ainsi devenu un objectif global.

Par ailleurs, nous souhaitions encadrer cette démarche en l'exposant en externe. C’est pour cela qu’il était très important pour nous de candidater à un prix Diversité porté par des acteurs reconnus dans le paysage français comme la DFCG et ses sponsors.

Porter nos objectifs à l'externe est aussi vécu comme un renforcement de notre engagement. C’est une façon d'accélérer le mouvement car ainsi nous ne restons pas simplement dans notre propre écosystème, nous ne regardons pas la mixité au travers de nos seuls instruments de mesure.

Chez Organon, quels ont été les ressorts de l’impact social recherché ?

Anne Bitzer (Organon) : Le projet qu'Organon France a présenté au prix Diversité de Financium s’articule autour de trois piliers : construire une entreprise pharmaceutique leader dans la santé des femmes ; maximiser nos performances en tant que filiale ; et établir une culture entrepreneuriale nouvelle et moderne.

Au départ, nous nous sommes concentrés sur notre stratégie de recrutement . Nous ne partions pas d’une page blanche grâce à un transfert d’assets et de business de la part de MSD, néanmoins nous avons comme ambition de nous positionner en tant que leader dans la santé des femmes (contraception, fertilité, risque cardio vasculaire…)     .

81% des femmes se préoccupent de la santé de leurs proches avant la leur. Elles vont d’abord prendre soin de leurs enfants, de leur mari, de leurs parents et se mettre un peu de côté. Nous souhaitons impulser un vrai changement, une prise de conscience de la santé des femmes, qui jouent un rôle clé à la fois sur leur santé et celle de leur famille. Chez Organon, nous avons pour vision d’améliorer la santé de chaque femme pour que chaque jour soit un meilleur jour. Nous pensons que les femmes sont essentielles à un monde en meilleure santé.

Pour accompagner le développement  de la filiale, nous avons mis en place une stratégie de prix innovante autour de médicaments originaux (molécules princeps qui sont aujourd'hui  génériquées). En effet, nous avons décidé d'aligner nos prix sur ceux des génériques pour que chaque patient puisse conserver ses repères  sans reste à charge. Cette initiative – Organon Originals – répond à une loi récente imposant au patient le paiement du reste à charge en cas de refus du générique. Cette démarche s’inscrit donc totalement dans une démarche d’égalité d’accès aux soins car elle permet au patient de faire son choix en toute liberté sans que cela ne lui coûte un centime de plus.

Ces premières étapes franchies, quels sont à votre avis les prochains défis à surmonter ?

Anne Bitzer (Organon) : Dès février 2021, nous avons lancé le chantier de la culture d’entreprise : une culture moderne et inclusive, dans laquelle le comment vaut autant que le résultat. Ce ‘comment’ repose sur sept éléments clés : méthode, rigueur, vitesse, exigence, entraide, collaboration et plaisir. Notre prochain défi est également de fixer une charte RSE en France, avec des KPIs à moyen et long terme pour suivre notre engagement.      

Karine Sirmain (ENGIE) : Chez ENGIE, le prochain défi sera très clairement l’élargissement à d'autres diversités. Nous avons assumé de mettre dans un premier temps de côté certains sujets, pourtant très importants. L'évolution naturelle de notre démarche sera d'intégrer toutes les diversités.

C’est un travail de longue haleine évidemment, mais il faut savoir ne pas se décourager. À la différence d'Organon France, qui avait presque une feuille blanche et a pu procéder à des recrutements massifs, nous opérons dans une organisation qui a déjà sa démographie. Nous travaillons donc beaucoup sur le flux, que nous avons la capacité d'influencer, même si les efforts ne se traduisent pas de façon spectaculaire dans la population.

Notre monitoring distingue bien les dimensions de stock et de flux. L'un des challenges est de ne pas se décourager quand on voit que la transformation du stock prendra du temps. Ce sont des questions tout à fait classiques pour les démographes, qui regardent le temps long. Les organisations, surtout quand elles sont cotées, peuvent être poussées à adopter des approches trop court terme, difficilement compatibles avec ces sujets sociétaux. Il faut voir plus loin.

Quel rôle un gestionnaire d’actifs peut-il avoir sur le sujet de la diversité ?

Karine Sirmain (ENGIE) : Les objectifs que nous nous fixons à l’interne, nous aimons bien également les retrouver lorsque nous sommes nous-mêmes en position d’investisseurs. Or il se trouve que j’ai la chance de superviser pour ENGIE nos métiers d’asset management : à horizon 2025, ce seront environ 25 milliards d’euros d’actifs que nous aurons confiés à différents gestionnaires, en face de nos obligations de long terme que sont le démantèlement d’un certain nombre d’actifs, le versement des pensions de nos salariés, ou bien encore l’offre de supports pertinents et performants pour leur épargne salariale.

Là encore, lorsque nous procédons aux appels d’offres nécessaires pour le choix de nos gestionnaires d’actifs, nous intégrons dans nos critères de choix leur capacité à prendre en charge de leur côté aussi cette thématique de l’équité de genre.

Je tiens d’ailleurs à saluer nos prestataires asset managers, parce que l’équité de genre était un sujet très émergent il y a deux ans. La vague RSE est en train d'embarquer massivement ce sujet et nos asset managers sont eux aussi parfaitement équipés pour optimiser ces filtres et doper la façon d'exécuter la stratégie d’allocation que nous leur avons confiée.

Qu’attendez-vous d’un cabinet d’audit et de conseil sur les sujets de diversité et d'inclusion ?

Anne Bitzer (Organon) : Il est important que les sujets de diversité soient portés par les commissaires aux comptes (CAC) et les cabinets de conseil. Vous pouvez nous créer des temps d’échange entre pairs de secteurs différents, comme vous êtes en train de le faire aujourd'hui     .

Vous intervenez dans d’autres entreprises, c’est votre cœur de métier, vous voyez donc beaucoup de bonnes pratiques. En tant que Directeur Finance, nous sommes focalisés sur notre entreprise et notre industrie. Vous pouvez nous ouvrir l’horizon et nous connecter avec d'autres industries, nous montrer d'autres prismes, d’autres manières de faire.

Qu’un CAC ou cabinet de conseil s'intéresse et promeuve ce sujet montre également qu’il ne se focalise pas que sur la donnée financière pure. C'est aussi ce que je trouve vraiment intéressant. PwC n’est pas tourné que sur le KPI financier, mais réfléchit aussi à la performance globale de l’entreprise.

Karine Sirmain (ENGIE) : Je suis totalement en ligne avec les propos d'Anne sur votre capacité, par la multiplicité de vos interventions, de nous nourrir d’initiatives diverses et variées pour nous aider à progresser. Le soutien de PwC à un certain nombre d'associations professionnelles est aussi une façon très intéressante d'accélérer nos propres initiatives internes sur ces thématiques de diversité et d'inclusion. Je suis ravie de participer à cet échange qui montre votre capacité d’influence sur l'écosystème des financiers en France, par exemple en vous associant à ce nouveau prix Diversité, qui n’était pas forcément attendu. S’il a pu soulever quelques interrogations au sein de la communauté DFCG, c’étaient des interrogations nécessaires.

Que retirez-vous pour votre propre projet des idées échangées lors de cette discussion ?

Anne Bitzer (Organon) : J’ai été très intéressée d’apprendre les évolutions en cours au sein du groupe ENGIE. Faire évoluer un grand groupe comme ENGIE prendra plusieurs années mais la volonté affichée par ENGIE et la transparence dans la fixation des KPIs seront des éléments clefs pour suivre la réussite ce projet.      

Karine Sirmain (ENGIE) : J’ai trouvé très impressionnant l'alignement complet d’Oregon, des produits jusqu’à la feuille de route, pour structurer cette nouvelle entreprise en France. Je pense que c'est un élément extrêmement catalyseur pour ensuite structurer les fonctions supports de l'entreprise. Lorsque Anne et son équipe se réunissent pour dire quelles inflexions donner dès le début à leurs structures, les questions d’équité de genre font partie du prisme.

Tout le monde n'a pas la chance de vendre des produits avant tout destinés à la santé des femmes et d'avoir ce parfait alignement. Ceci étant, la beauté du secteur de l'énergie est d’être au cœur des foyers et de toucher des biens essentiels. Lorsqu'on n'a pas d’accès à l'énergie, les choses deviennent extrêmement difficiles.

Laurent Morel (PwC) : Effectivement, les points de vue sont très différents, ne serait-ce que par le secteur et la taille respective de vos organisations - 250.000 personnes chez ENGIE, dont environ 5.000 financiers ; 180 chez Oregon. Mais toutes deux portent sur des biens essentiels d’une certaine manière, ce qui permet de revenir aux fondamentaux. Ce que je retiens de cet échange passionnant est que la diversité et l'inclusion font bien partie des fondamentaux de l’entreprise.

Avec les prix Diversité et Impact social décernés par Financium, je me réjouis que, collectivement, nous fassions avancer cette idée au départ un peu folle et étrange, aujourd’hui évidente, de l'inclusion et de la diversité dans le monde de la finance. Nombre de personnes nous ont dit “oui mais pas tout de suite, nous ne sommes pas prêts”. Vos beaux projets démontrent le contraire. Je vous remercie pour ces échanges qui rendent plus concrètes les évolutions en cours.

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Laurent Morel

Laurent Morel

Associé Consulting Finance, PwC France et Maghreb

Pauline Adam-Kalfon

Pauline Adam-Kalfon

Associée en charge de l’activité Blockchain et Crypto, PwC France et Maghreb

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