L’usine agile, mode d’emploi

Ruptures de chaînes d’approvisionnement, envolée des prix de l’énergie et des matières premières, baisse des quotas de CO2, nouvelles règles impactant la compétitivité (IRA, MACF)… Pour que la réindustrialisation de la France devienne une réalité, de nombreux obstacles devront être surmontés. Les usines les plus agiles seront plus à même d’y parvenir. 

Dans un livre blanc approfondi, les Arts et Métiers, le CFA Ingénieurs 2000 et l’Industry Lab de PwC et Strategy& présentent un état de l’art des architectures digitales et systèmes de pilotage 4.0 de la production au service d’une plus grande flexibilité industrielle.

Stéphane Loubère, associé Opérations, Strategy&, l’entité de conseil en stratégie de PwC, Khaled Benfriha, maître de conférences HDR, Arts et Métiers ParisTech, et Chawki El Zant, doctorant, Arts et Métiers ParisTech, présentent les enjeux auxquels répond le livre blanc.

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Agilité ou flexibilité, un concept au coeur de la compétitivité industrielle

Un système de production peut être défini comme un ensemble de modules reliés par des flux dans le but de transformer des matières premières ou des composants en un produit. Facteur déterminant de compétitivité, l’agilité ou flexibilité industrielle permet de faire face aux incertitudes de marché. Elle aide aussi à satisfaire de nouvelles attentes, comme la production à la demande en réponse au désir de personnalisation des produits. 

La flexibilité n’est pas le seul moyen de gérer des variations de volumes, de composants ou d’aléas. D’autres leviers existent, tels que l’organisation du travail, la conception modulaire, la différenciation retardée, le make or buy ou le choix de procédés en continu vs. en lots. Mais, dans un contexte de digitalisation des processus amont et aval, l’agilité contribue à la performance des flux de production.

“La flexibilité apporte aux industriels la possibilité d’adapter en permanence leur production au juste besoin, en utilisant des solutions digitalisées et intégrées dans un système de production global, au service de leur compétitivité et du développement durable de leurs activités.”

Patrick Benammar, Learning & Development Vice-President, Renault Group, et Président d’Ingénieurs 2000

Aujourd’hui, de nouvelles architectures digitales permettent de flexibiliser les systèmes de production. Ces solutions technologiques, combinées à la recherche méthodologique, offrent de nouvelles perspectives dans le pilotage évolué des opérations de production et dans le traitement, lui aussi flexible, des données. Le livre blanc, élaboré entre Strategy& et une équipe de recherche des Arts & Métiers, donne les grands enseignements à retenir sur les systèmes de production flexibles, expérimentations à l’appui.

Le principe : faire converger les concepts définissant tout système de production 4.0

L’Industrie 4.0 repose sur une combinaison de quatre familles de concepts : matériels, architectures, données et logiciels. De leur convergence dépend l’aboutissement d’un processus de fabrication digitalisé offrant un surcroît de flexibilité.

Catégorisation des concepts majeurs 

Catégories Concepts
Matériels

Cyber-Physical Manufacturing System (CPMS)

Smart Manufacturing Objects (SMO)

Industrial Internet of Things (IIoT)

Architectures

Event-Driven Architecture (EDA)

Service Oriented Architecture (SOA)

Données

Big Data Analytics (BDA)

Cloud Manufacturing (CdM)

Edge Computing (EdC)

Logiciels

Digital Twin Simulation (DTS)

Dynamic Digital Twin (DDT)

Multi-Agent System (MAS)

Manifacturing execution system (MES)

Ces concepts représentent pour une entreprise les fondations technologiques à établir pour déployer sa stratégie 4.0. Par exemple, les systèmes de production cyber-physiques (cyber-physical production systems, ou CPPS) transforment les architectures pyramidales en architectures distribuées, décentralisées et extrêmement connectées, leur permettant de gagner en adaptabilité.

=> Plus de précisions dans le livre blanc sur des notions telles que l’architecture orientée service (SOA), l’architecture fondé sur les événements (EDA), le calcul en périphérique du réseau (EdC) ou le jumeau numérique.

La méthode : deux approches de modélisation des systèmes de production 4.0

Comment mettre en place ces concepts de l’Industrie 4.0 appliqués à la flexibilité au sein d’une unité de production ? Le livre blanc propose deux exemples de modélisation d’un système de production flexible. L’un dans un contexte greenfield d’ouverture d’une nouvelle usine, la réindustrialisation de la France devenant ainsi une opportunité de mettre en place dès la conception des opérations de bonnes pratiques de pilotage des systèmes de production. L’autre dans une perspective de mise à niveau d’un atelier existant en voie de digitalisation.

“Le MES développé ici offre une flexibilité accrue. L’ordonnancement ou regroupement de modules devient dynamique. Sa mise à jour dépend d’une part de l’évolution de la situation en temps réel, d’autre part des aléas rencontrés.”

Stéphane Loubère, Associé Opérations chez Strategy&, l’entité de conseil en stratégie de PwC

Modélisation de production 4.0 pour un nouvel atelier

Dans cette modélisation, la convergence des concepts repose sur une réorganisation simplifiée qui imbrique les différentes technologies et architectures impliquées dans la construction d’un système de production 4.0 complet et cohérent. 

Les cinq axes essentiels au processus de modélisation sont une configuration en CPMS, un dispositif d’internet industriel des objet (Industrial Internet of things, ou IIoT), des applications d’exécution et de contrôle du programme de production, une méthode de gestion et d’analyse des données, et un choix en termes de réseaux d’information distribué, orienté objets ou d’évènements (EDA, SOA). 

L’expérimentation permet de constater que tous les concepts se rejoignent sur le fond. Les notions de réseaux, connectivité, agents, interopérabilité, intelligence, portabilité, calculs, flexibilité et continuité numérique transverse se retrouvent dans les réalisations récentes d’unités de production 4.0.

modelisation de production
atelier existant

Modélisation de production 4.0 pour un atelier existant

Dans le cas de figure d’un atelier existant, le modèle doit tenir compte des machines et des réseaux déjà installés pour les compléter d’une couche technologique adaptée aux fonctionnalités recherchées et à la capacité d’investissement de l’entreprise selon ses objectifs. Il est clé que l’atelier bénéficie déjà d’une architecture intégrée (computer integrated manufacturing, ou CIM) proche du 3.0 et que son processus de fabrication ait déjà fait l’objet d’une démarche d’amélioration continue (lean manufacturing notamment). 

La transformation de l’atelier passe par cinq axes : matériel (reconfiguration des machines existantes et acquisition d’équipements de transferts entre machines, de contrôle qualité intégré ou de fabrication additive) ; IIoT (superposition d’une couche de capteurs, caméras et réseaux dédiés interopérables avec le réseau existant) ; logiciel (notamment pour piloter l’atelier) ; calcul (capacité de soutenir un système de production 4.0 doté de fonctionnalités avancées) ; et programmation des machines.

L'expérimentation met en lumière une complexité qui, au-delà des problématiques de méthode, d’interfaçage, de sécurité et de compétences, découle des stratégies industrielles des grands éditeurs de solutions de plateforme numérique ou plateformes IIoT et des fabricants de systèmes technologiques 4.0 (manufacturing execution systems, ou MES) à des fins de positionnement et de leadership. Le potentiel d'évolution de ces solutions reste énorme.

Lire aussi l’étude The future of Manufacturing Operations Management de PwC

Afin de lever les verrous méthodologiques et technologiques, nous avons entrepris un programme de recherche ambitieux organisé en deux axes”, explique Khaled Benfriha, Maître de Conférences HDR à Arts & Métiers Sciences et Technologies,. “D’abord la transition des anciens modèles de production vers des modèles plus distribués afin d’accroître la flexibilité. Puis les données, en abordant les questions de data lakes, edge computing, cloud computing et jumeaux numériques (digital twins). Un fois compilées et traitées par une intelligence, elles permettent d’accroître la flexibilité des opérations de production”.

Prérequis 1 : une architecture digitale couvrant la conception, l’industrialisation et la production

Disposer d’une architecture digitale distribuée, transverse aux processus de conception, d’industrialisation et de production est un prérequis au développement d’un MES doté d’une fonction flexibilité avancée. 

Cette architecture recherche une continuité digitale horizontalement dans les processus opérationnels, du développement de produit jusqu’à son utilisation, mais aussi verticalement, dans le pilotage de chaque opération. À retenir que :

  • Ce pilotage vertical nécessite de lier les systèmes de gestion (IT) et les systèmes de production (OT) ;

  • Les architectures autour de plateformes IIoT sur lesquelles des solutions particulières (traçabilité, maîtrise de procédé, simulation…) sont à intégrer au côté des solutions logicielles (backbones) structurantes ;

  • Ces plateformes et ces solutions de type applications digitales intègrent des fonctionnalités natives et agiles de génération et de traitement des données techniques et de production autour du PLM (pour produire des données techniques), de l’ERP (pour piloter les commandes et générer des ordres de fabrication) et du MES (pour piloter le système de production mais aussi interagir avec d’autres solutions pour traiter les données de production).

Outre cette architecture générique, le livre blanc détaille une architecture expérimentale, développée conjointement par des chercheurs Arts et Métiers et des experts Strategy&.

Pour en savoir plus sur cette architecture expérimentale, lire le livre blanc : Agile Manufacturing - Quelles architectures digitales pour flexibiliser votre système de production ?

Après un déploiement massif de l’automatisation, des progiciels de gestion intégrée (ERP) et dans une moindre mesure des manufacturing execution systems (MES) dans l’industrie, la notion de système de production cyber-physique (CPPS) transforme les architectures pyramidales en architectures distribuées, afin de gagner en adaptabilité.

Prérequis 2 : un système de pilotage avancé basé sur la planification 4.0, la modularité et l’usage d’un jumeau numérique

Outre la dimension architecturale du système, les systèmes de fabrication 4.0 et leurs fonctionnalités avancées appellent à repenser ce qui est attendu du système de pilotage, notamment en termes de planification, de modularité et de jumeau numérique. La dernière partie du livre blanc propose donc une démarche permettant de concevoir un système de pilotage évolué capable d’accroître la flexibilité opérationnelle.

Planification

L’agilité globale du système de production découle de l’articulation des modules et des flux qui le composent. Pour l’atteindre, le système de production est décomposé en modules combinables. Cette modularité doit être capable non seulement de réagencer l’atelier selon les besoins, mais aussi d’augmenter la capacité de production ou d’intégrer de nouvelles fonctionnalités.

Pour que la planification devienne 4.0, il faut donc reconfigurer les systèmes de contrôle-commande des machines de production et rendre les opérations de base compatibles avec un système de production 4.0.

“La modularité se définit par le passage d’une planification linéaire vers une planification agile qui peut s’adapter à des circonstances et à des exigences évolutives, sans avoir besoin d’un travail de reprogrammation sophistiquée.”

plannification reconfiguration
plan de production

Modularité

Les modules de production créés lors de l’expérience menée aux Arts et Métiers couvrent une grande partie des opérations potentielles adaptées à une plateforme 4.0. Ils sont paramétriques pour que la variabilité leur permette de s’adapter au contexte. Ils peuvent également être définis de différentes manières selon la standardisation recherchée. 

C’est l’ordonnancement des modules qui va générer un plan de production flexible :

  • Si le plan de production doit tenir compte des contraintes d’antériorité inter-modules, il n’est pas réalisable en l’état. C’est cependant une piste qui peut être exploitée pour obtenir un aperçu global et si l’on souhaite distribuer la fabrication d’un produit à d’autres usines digitalisées et connectées. 

  • Si le plan de production est optimisé, il est opérable tout en restant soumis aux contraintes capacitaires de la plateforme 4.0. Le MES proposera plusieurs scénarios d’ordonnancement et de flux possibles, à ajuster en fonction de la pondération souhaitée des critères d’optimisation (coût, rapidité, consommation d’énergie…). 

“Depuis 2022, l’optimisation énergétique est remontée au premier plan des contraintes à prendre en compte pour optimiser les chaînes de production en France.”

Stéphane Loubère, associé Opérations, Strategy&, PwC France et Maghreb

Jumeau numérique

Enfin, il s’agit de piloter finement la production, en mode dynamique, afin d’être en mesure de réagir à chaque aléa ou décision de changement. Le pilotage de l’industrialisation (phase de préparation) et de la production consiste à s’assurer de l’exécution successive ou simultanée des opérations de fabrication en conformité avec les exigences qualitatives et quantitatives du besoin client. 

Outre les fonctionnalités du MES nécessaires à un pilotage avancé, le livre blanc détaille la simulation possible de la phase de pilotage à l’aide d’un jumeau numérique. Cela permet par exemple au MES de faire évoluer les contraintes dynamiques de la plateforme pour les rendre compatibles avec le plan de charge en cours d’exécution. 

Le jumeau numérique peut être utilisé lors de différentes étapes. En phase de préparation, il offre une visualisation en 3D du déroulement d’un plan de production en mode simulation hors ligne, tandis que la plateforme réelle continue de fonctionner. Cette simulation 3D constitue un précieux outil d’aide à la décision en permettant de vérifier visuellement l’ordonnancement des modules, de prévenir divers dysfonctionnements (collisions, incohérences…) et de valider différentes options d’organisation. 

En phase de pilotage, le MES replace les données ascendantes des objets physiques de la plateforme dans leur contexte, faisant évoluer en temps réel le jumeau numérique dans les mêmes conditions que l’objet physique. Les équipes de production bénéficient d’une visualisation 3D interactive multi-vues du processus de fabrication - en attendant la réalisation d’un métavers industriel qui intègre aussi des données exogènes.

numérique dynamique

À propos de la collaboration entre les Arts et Métiers et Strategy&, PwC France et Maghreb

Menés conjointement par les Arts et Métiers et l’Industry Lab de PwC et Strategy& à Neuilly-sur-Seine, les travaux de recherche sur lesquels s’appuie ce livre blanc encouragent les gains de performance grâce à de nouvelles architectures digitales. Les expérimentations pratiques ont quant à elles été menées sur la plateforme 4.0 du campus de Paris des Arts et Métiers. 

Au-delà des approches d’architecture distribuées et modulaires permettant un pilotage dynamique de la production, de nouvelles approches sont actuellement testées pour intégrer encore plus de fonctionnalités : vision intelligente, maintenance prévisionnelle, logistique intégrée…

“Notre but est de capitaliser sur ces expérimentations d’intégration de briques technologies afin de revenir enrichir les processus de modélisation des systèmes de production 4.0 et par la même occasion de produire des préconisations en amont. Mais nous voyons bien que le nerf de la guerre demeure une intégration réussie de briques technologiques.”

Khaled Benfriha, maître de conférences HDR aux Arts et Métiers Sciences et Technologies
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