Par Stéphanie Villers, Conseillère économique, PwC France et Maghreb.
L’inflation atteint un niveau record en France. Les coûts de production des entreprises progressent à vive allure, tirés par la flambée du prix des matières premières. Les cours des produits énergétiques s’installent à des niveaux élevés et laissent penser qu’ils y resteront tant que le conflit ukrainien perdurera et que la transition écologique imposera de lourds investissements dans les énergies renouvelables.
Dans ce contexte heurté, la France a réussi à tirer son épingle du jeu. Les mesures mises en place pour préserver le pouvoir d’achat des ménages ainsi que le recours au nucléaire ont permis de limiter la hausse des prix. L’inflation en France est moins élevée par rapport au reste de la zone euro. À moyen terme, cet écart constitue un avantage concurrentiel pour les entreprises françaises exportatrices. Les prix à l’export seront plus attractifs comparés à ceux des partenaires européens.
En revanche, le coût de ces mesures pèse sur les comptes publics et laisse craindre une dérive budgétaire qui pourrait être sanctionnée par les marchés financiers. La France a fait un pari. Celui de subventionner les ménages et les entreprises (PME) pour contrer la flambée des prix des matières premières et ainsi soutenir la croissance. Ce pari pourrait être gagnant avec une consommation des ménages privilégiée au détriment de l’épargne.
L’inflation est un indicateur à double tranchant. Une hausse des prix lorsqu’elle est maîtrisée indique une bonne santé économique. Les prix progressent avec la dynamique de la demande de biens et de services, les entreprises augmentent leurs chiffres d’affaires et accordent des augmentations de salaires. C’est pourquoi, la Banque Centrale Européenne (BCE) doit garantir une inflation à moyen terme à 2 % et non une inflation nulle.
A contrario, l’inflation devient inquiétante quand elle est non contrôlée et est stimulée par des facteurs exogènes, telle que la flambée des prix de l’énergie. Or, aujourd’hui, les pays de l’Union Européenne et la France en particulier, subissent une progression ininterrompue des prix, bien au-delà des 2 % qui s’explique en partie par l’emballement des prix des produits énergétiques. Rappelons que l’Europe dépend de fournisseurs extérieurs pour son approvisionnement en gaz et en pétrole.
La composition de l’indice des prix à la consommation démontre bien que la flambée des tarifs énergétiques a entraîné la hausse généralisée des prix. Les prix de l’énergie ont bondi de 22,7 % en août 2022 (en glissement annuel/ga). La France subit une inflation importée par l’envolée des coûts de l’énergie.
« La France subit une inflation importée par la flambée des prix de l’énergie. »
De même, les prix de l’alimentation progressent à vive allure enregistrant pour les produits alimentaires non frais 8,5 % de hausse sur la même période. Les tarifs énergétiques ont pesé sur les coûts de production incitant le secteur à augmenter ses prix de vente.
Tout a débuté en sortie de crise Covid. Les prix ont commencé à se tendre dès septembre 2021. L’activité mondiale après la pause pandémique s’est remise en état de marche dopée par les mesures budgétaires et les politiques monétaires d’une ampleur inédite. La demande de biens et de services a bondi, l’offre sous pression a fait face à des difficultés d’approvisionnement et à des désorganisations des chaînes logistiques.
« L’inflation a enregistré des taux jamais atteints depuis 1985. »
Les prix ont reflété ce choc d’offre, l’inflation a enregistré des taux jamais atteint depuis 1985. Rappelons que les prix de marché suivent les mouvements de l’offre et de la demande à la recherche d’un équilibre. L’inflation a été, néanmoins, considérée comme transitoire, elle n’inquiétait pas. Les experts anticipaient une stabilisation progressive des prix au rythme d’une croissance recouvrant sa tendance de long terme.
Mais, tout se complique dès février 2022. La guerre en Ukraine provoque de nouvelles tensions sur l’ensemble des prix des matières énergétiques. Le risque de pénurie pour les pays européens trop dépendants d’un seul fournisseur, la Russie, a déclenché la flambée des cours mondiaux des hydrocarbures. En avril 2020, le prix du baril de pétrole était à 25 dollars, il passe à 100 dollars deux ans plus tard. Son prix a quadruplé. Même constat pour le cours du gaz naturel avec 500 % de hausse.
La facture énergétique bondit et laisse craindre pour les pays européens un risque de stagflation, avec une inflation élevée, une croissance faible et une hausse du taux de chômage. Les années 70 ont expérimenté le cumul de ces facteurs défavorables. Les coûts de production ont alors explosé par la flambée des prix de l’énergie (déclenchée par les deux chocs pétroliers) et par l’indexation des salaires sur l’inflation. Produire devenait alors plus cher, moins rentable et avait débouché sur un ralentissement de l’activité économique.
« La facture énergétique laisse craindre un risque de stagflation. »
Les différents pays européens ont tenté de limiter ce risque et sont venus en soutien par des mesures exceptionnelles pour atténuer le choc d’offre.
La France a agi très rapidement avec la mise en place du bouclier tarifaire dès novembre 2021 impliquant le blocage du prix du gaz et plafonnement à 4 % de hausse du prix de l’électricité. Ensuite, il a été complété en avril et en septembre par des remises à la pompe et par l’indemnité inflation.
Résultat, les mesures anti-inflation ont permis de limiter l’envolée des prix par rapport aux autres pays membres de la zone euro.
Selon l’INSEE, le taux d’inflation aurait atteint en France entre les deuxièmes trimestre 2021 et 2022 8,4 % contre 5,3 % constatés.
L’INSEE a calculé
Le recours au nucléaire constitue un vrai atout pour la France assurant un mix énergétique bien utile en période d’emballement des cours des hydrocarbures.
La moyenne du taux d’inflation en zone euro atteint 9,1 % en août. Neuf pays sur 19 membres ont une inflation à deux chiffres, les pays baltes, extrêmement dépendants de la Russie en hydrocarbures, enregistrent des taux records.
Une inflation élevée pèse sur le pouvoir d’achat des ménages et ne crée pas un cadre favorable au développement et à l’investissement pour les entreprises.
En revanche, la France, en enregistrant une inflation moins importante que les autres pays d’Europe, pourra bénéficier à terme d’un avantage concurrentiel.
Cet avantage ne peut se concrétiser que sur le moyen/long terme. Il faut que l’écart de taux d’inflation s’installe durablement entre la France et les autres pays membres de la zone euro pour que les entreprises françaises puissent en tirer les bénéfices. Etant donné que la France est moins dépendante du gaz russe que ses principaux partenaires et que les mesures anti-inflation restent conséquentes, cet écart devrait se poursuivre. Les entreprises françaises vont alors parvenir à exporter à un prix attractif. In fine, la compétitivité-prix des biens et des services devrait s’améliorer.
Elle pourra, de surcroît, être amplifiée par la faiblesse de l’euro constatée depuis le début de l’année (EUR/USD en baisse de 13 % entre janvier et août 2022). Les échanges commerciaux des entreprises européennes hors zone euro bénéficient d’un taux de change favorable. L’ensemble des pays de la zone euro va pouvoir profiter d’un euro faible, un niveau proche de la parité avec le dollar.
« La compétitivité-prix des biens et des services devrait s’améliorer en France. »
Le cumul de ces deux facteurs, inflation plus faible et euro attractif, pourrait venir en soutien d’une compétitivité française qui s’est dégradée jusqu’en 2021. Rappelons que le déficit commercial de la France a atteint un record de 85 milliards d'euros en 2021. La part des exportations françaises dans celles de la zone euro est à son plus bas niveau depuis 2000 (13,6 %).
L’inflation jugulée par l’action de la BCE : hausses de taux d’intérêt
La BCE se doit de veiller à contenir les trop fortes pressions inflationnistes. Pour ce faire, elle augmente ses taux d’intérêt directeurs qui renchérit le coût du crédit pour les banques. Celles-ci répercutent alors cette hausse sur les taux de prêts accordés aux entreprises et aux consommateurs. Cette mesure vise à agir sur les prix en freinant la dynamique économique.
L’Institut monétaire européen n’a pas actionné son arme anti-inflation dès l’envolée des prix des matières premières. Le risque de casser la croissance en relevant trop rapidement ses taux d’intérêt directeurs l’a incité à décaler son action. L’Europe est dépendante de l’extérieur pour son approvisionnement en produits énergétiques, elle ne peut intervenir sur leurs tarifs. Elle les subit.
En revanche, la BCE peut agir sur l’inflation sous-jacente (c’est-à-dire hors prix de l’énergie). Celle-ci a progressé de 4,5 % en août. C’est sur ce segment de prix que l’action de la BCE aura un impact.
La BCE a attendu fin juillet pour procéder à son premier relèvement de taux d’intérêt de 75 points de base (pb). Notons qu’elle n’avait pas augmenté ses taux de refinancement depuis 11 ans. Cette décision annonce un changement de paradigme. Nous avions vécu la dernière décennie avec des taux d’intérêt extrêmement faibles, ce temps semble révolu. Les taux d’intérêt vont être relevés progressivement. Le 8 septembre, l’institut francfortois a augmenté de nouveau ses taux directeurs de 75 pb.
L’inflation de l’année N est calculée par rapport au niveau des prix de l’année N-1. L’année de référence n’est donc pas neutre, elle accroît ou au contraire modère l’amplitude du mouvement sur l’année suivante. Ainsi, l’inflation sur l’ensemble de 2022 enregistre un niveau record depuis plus d’une vingtaine d’années mais notons qu’elle fait suite à une phase d’atonie des prix constatée durant la période pandémique. 2021 a conservé les stigmates de la crise sanitaire avec la poursuite de restrictions sur la première partie de l’année.
Dans ce cadre, 2023 devrait enregistrer une inflation plus « maîtrisée » que celle de 2022. Pour comprendre, prenons l’exemple du cours du pétrole. Si celui-ci se maintient à 100 dollars le baril l’année prochaine (ce qui semble être le scénario le plus probable), alors le prix restera élevé par rapport à celui constaté en 2021 mais stable par rapport à 2022.
Cette stabilité de prix laissera derrière nous la crainte de la poursuite d’une inflation galopante mais en réalité elle marquera le début d’une ère où les prix en particulier ceux des matières premières énergétiques seront plus élevés que ceux enregistrés avant la crise Covid.
Actuellement les taux réels (c’est-à-dire les taux d’intérêt corrigés par l’inflation) restent négatifs donc attractifs. Tant que les taux d’inflation se situeront à des niveaux supérieurs à ceux des taux d’intérêt, se financer par l’emprunt demeurera une option à explorer.
Un décalage persiste entre les politiques monétaires mises en place aux Etats-Unis et en zone Euro. Aux Etats-Unis, la Federal Reserve (Fed) a déclenché son resserrement monétaire (c’est-à-dire des hausses des taux d’intérêt) à partir de mars 2022. Ses taux directeurs s’orientent à fin septembre autour de 3 %. Ils sont donc près de 150 pb supérieurs à ceux de la zone Euro. Cet écart offre une rémunération plus élevée aux investissements outre-Atlantique, ce qui explique en partie l’appréciation du dollar par rapport à l’euro.
Les pays européens se sont mis en ordre de marche pour se délester de la dépendance russe en se tournant vers d’autres fournisseurs en gaz et en pétrole. Mettre en place une politique énergétique commune au sein de l’Union Européenne fait son chemin et devrait permettre à plus long terme de négocier les prix à l’instar de ce qui s’est pratiqué avec les vaccins contre le Covid.
Mais, la crainte de devoir imposer des coupures d’électricité cet hiver a incité certains pays (notamment l’Allemagne et la Pologne) à recourir de nouveau à l’énergie fossile la plus polluante en réactivant leurs centrales à charbon. En France, l’usine de Saint Avold qui avait été fermée au printemps, a dû rouvrir dans l’urgence pour six mois. Ces décisions temporaires pourraient venir contrarier la stratégie européenne de neutralité carbone d’ici 2050 - sans toutefois la remettre en cause. Les investissements réalisés dans le développement des énergies vertes demeurent la pierre angulaire des engagements de Bruxelles. Le plan UE Next Generation associé au budget européen 2021-2027 prévoit d’allouer au total environ 550 milliards d'euros de fonds européens à la transition écologique. L’Union Européenne a pris un engagement pour le développement des énergies propres en lançant un plan de relance de l’économie en 2020. Accéder à une forme d’autonomie énergétique est devenue une urgence axée sur le développement des énergies renouvelables.
Dans ce contexte, le recours aux énergies alternatives pour promouvoir l’indépendance de l’Europe signifie pour les entreprises européennes une meilleure garantie en matière d’approvisionnement mais aussi une facture énergétique plus élevée sur le long terme.
Les pays européens se sont mis en ordre de marche pour se délester de la dépendance russe en se tournant vers d’autres fournisseurs en gaz et en pétrole. Mettre en place une politique énergétique commune au sein de l’Union Européenne fait son chemin et devrait permettre à plus long terme de négocier les prix à l’instar de ce qui s’est pratiqué avec les vaccins contre le Covid.
Mais, la crainte de devoir imposer des coupures d’électricité cet hiver a incité certains pays (notamment l’Allemagne et la Pologne) à recourir de nouveau à l’énergie fossile la plus polluante en réactivant leurs centrales à charbon. En France, l’usine de Saint Avold qui avait été fermée au printemps, a dû rouvrir dans l’urgence pour six mois. Ces décisions temporaires pourraient venir contrarier la stratégie européenne de neutralité carbone d’ici 2050 - sans toutefois la remettre en cause. Les investissements réalisés dans le développement des énergies vertes demeurent la pierre angulaire des engagements de Bruxelles. Le plan UE Next Generation associé au budget européen 2021-2027 prévoit d’allouer au total environ 550 milliards d'euros de fonds européens à la transition écologique. L’Union Européenne a pris un engagement pour le développement des énergies propres en lançant un plan de relance de l’économie en 2020. Accéder à une forme d’autonomie énergétique est devenue une urgence axée sur le développement des énergies renouvelables.
Dans ce contexte, le recours aux énergies alternatives pour promouvoir l’indépendance de l’Europe signifie pour les entreprises européennes une meilleure garantie en matière d’approvisionnement mais aussi une facture énergétique plus élevée sur le long terme.
La question de la soutenabilité de la dette se pose à l’heure où les taux d’intérêt augmentent. Selon les estimations de la Banque de France (BdF), chaque 1 % de hausse des taux d’intérêt représente à terme un coût annuel supplémentaire de près de 40 milliards d'euros, soit presque le budget actuel de la Défense.
« Une hausse de 1% des taux d’intérêt représente à terme un coût annuel supplémentaire de près de 40 milliards d'euros. »
Ainsi, compte tenu du risque d’accroissement excessif de la charge de la dette, il convient d’orienter plus efficacement les aides vers les ménages les plus modestes pour éviter de creuser invariablement les déficits publics. L’efficacité de la dépense publique doit être questionnée au moment où les taux d’intérêt progressent et que les déficits publics s’installent durablement au-dessus de 3 % du PIB. Rappelons que le laxisme budgétaire peut coûter très cher à un Etat si les marchés financiers décident de le sanctionner (cf. crise des dettes souveraines de la zone euro en 2012).